À Jacques Bouveresse, Acrimed reconnaissant

Philosophe majeur récemment disparu, Jacques Bouveresse était aussi un observateur impitoyable des mœurs intellectuelles de son pays et un infatigable contempteur de ses prodiges médiatiques. Hommage que le vice rend à la vertu, les grands médias n’ont pas manqué de souligner le dégoût qui était le sien face aux compromissions et aux dysfonctionnements d’un certain journalisme, notamment culturel. Qu’il nous soit permis de saluer à notre tour et à notre manière la mémoire de Jacques Bouveresse en rappelant les fondements de sa critique d’un système médiatique qui laissait surtout entrevoir ce que pourrait être un univers aux pratiques mieux contrôlées, et partant, plus démocratiques. Il trouvait en effet, comme l’un de ses héros intellectuels, Robert Musil, que « ce qui est douloureux, c’est le contraste entre ce que la presse est et ce qu’elle pourrait être ».

À rebours de tous les « intellocrates » de salon en manque chronique de visibilité médiatique et de tous les journalistes en mal de scoops, le fin connaisseur du satiriste autrichien Karl Kraus qu’était Bouveresse en avait d’abord après le primat de la logique de l’audimat, « Dieu caché de cet univers qui règne sur les consciences » comme l’écrivait son ami Pierre Bourdieu dans Sur la télévision. Récusant l’idée reçue selon laquelle succès et omniprésence médiatiques sont nécessairement gages de profondeur, il eut maintes occasions de déplorer qu’en matière de choses intellectuelles, « les médias viennent toujours au secours du succès », consacrant les déjà consacrés et délaissant tout ce qui, plus difficile d’accès au premier abord, mériterait d’être découvert et mis en lumière.

Corollaire de ce culte des projecteurs et de la célébrité – qui finit par mettre le porteur de nouvelles au-dessus de la nouvelle elle-même –, le rapport des journalistes et des penseurs à l’argent qui n’allait pas sans poser problème à ses yeux. En effet, peut-on à la fois courir après le confort matériel sinon la richesse ostentatoire tout en restant intransigeant et incorruptible dans sa quête de vérité ? À cet égard, l’avènement de quelques « nouveaux philosophes » qui choisirent de contourner le jugement de l’Université et de la science pour aller s’abriter sous le parapluie douillet de médias complaisants voire complices et d’un système capitaliste auquel ils n’avaient rien à redire fut désastreux tant il contribua à inverser et à confondre les valeurs.

Là fut peut-être…

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Auteur: Acrimed Acrimed