À qui appartiennent ces empreintes de pieds vieilles de 300 000 ans ?

Au cours de leurs recherches sur l’évolution humaine, les paléoanthropologues se concentrent généralement sur des restes osseux fossilisés. Toutefois, un autre type de vestige est de plus en plus utilisé : les empreintes de pieds laissées par nos ancêtres et conservées à travers le temps. À la différence des restes osseux, les empreintes ouvrent une fenêtre sur de brefs moments de vie d’individus disparus. Par cette échelle temporelle très particulière, leur étude fournit de nombreuses informations inédites sur les comportements locomoteurs mais aussi la composition de groupes ayant vécu il y a des centaines de milliers voire millions d’années. Malheureusement, les empreintes de pieds fossiles sont particulièrement rares du fait de leur fragilité. Quand elles sont découvertes, un véritable travail d’enquête commence.

En 2020, 87 empreintes de pieds ont été découvertes au pied de la falaise d’Asperillo sur la côte de l’espace naturel de Doñana, au sud-ouest de l’Espagne.

Photographie du site archéologique au pied de la falaise d’Asperillo en Espagne.
E. Mayoral, Fourni par l’auteur

Lors de la première étude de ces empreintes, publiée dans la revue Scientific Reports en 2021, nous avions montré qu’elles avaient été laissées par un groupe composé d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Afin d’estimer l’âge des individus à partir de leurs empreintes de pieds, nous avions utilisé des données expérimentales. Des participants d’âges variés avaient laissé des empreintes dans un sol similaire à celui de Doñana. Les empreintes ont ensuite été mesurées et des relations statistiques avaient été établies entre les dimensions des empreintes et leurs caractéristiques biologiques comme leur taille ou leur âge. Ces relations ont alors été appliquées aux empreintes fossiles qui avaient été mesurées.

Par ailleurs, l’orientation de ces empreintes vers des traces animales (oiseaux, cerfs, bovins…) laissait penser à d’éventuels comportements de chasses de la part de ce groupe préhistorique.

L’une des questions était de savoir quelle espèce humaine avait laissé ces empreintes. Dans la plupart des cas les empreintes de pieds ne sont pas associées à une espèce sur la base de critères anatomiques, comme le sont les restes osseux fossiles, mais à partir du contexte chronologique. C’est pourquoi nous avions attribué ces empreintes à des Néandertaliens sur la base de la seule référence temporelle disponible, une date de 106 000 ans obtenue lors d’une étude du site au milieu des années 2000. Une telle attribution se justifiait car les Néandertaliens étaient la seule espèce connue à occuper la péninsule ibérique et plus largement l’Europe de l’ouest à cette date.

De nouvelles datations

Cependant, en continuant l’étude de ce site, nous avons procédé à un échantillonnage du sol où ont été découvertes les empreintes afin d’obtenir des datations plus précises. Les résultats de cette étude publiés en octobre dans la revue Scientific Reports sont surprenants : le sol n’est pas daté de 106 000 mais de 296 000 ans. Les empreintes sont donc beaucoup plus vieilles qu’estimées. Cette différence dans les dates obtenues est non seulement due aux avancées méthodologiques dans les techniques utilisées mais également à la position des échantillons datés se focalisant davantage sur le niveau des empreintes que les toutes premières datations qui avaient été précédemment utilisées.

Empreinte de pied découverte à Doñana comparée à un pied adulte.
E. Mayoral, Fourni par l’auteur

La nouvelle datation a placé les empreintes dans un nouveau contexte géographique et environnemental. Le continent européen était sur le point de subir un changement climatique radical il y a 300 000 ans. Des conditions relativement chaudes faisaient place à des conditions beaucoup plus froides, précurseur d’une ère glaciaire. À cette époque, le niveau de la mer sur le continent européen était en moyenne 60 mètres en dessous de son niveau actuel. Le littoral du sud-ouest de l’Espagne était alors à 20 ou 25 kilomètres au large de sa position actuelle.

Outre ces changements environnementaux et géographiques, cette…

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Auteur: Jérémy Duveau, Chercheur associé, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)