« Achab est Dieu, Ford est son prophète ». Le naufrage du capitalisme selon C.L.R. James

Préambule : Melville à Détroit

En 1957, le philosophe Alexandre Kojève, se rendit à Düsseldorf à l’invitation de Carl Schmitt, pour y prononcer une conférence intitulée « Le colonialisme dans une perspective européenne ». Soutenant que le « capitalisme moderne » avait rendu non seulement « possible, mais absolument nécessaire, une augmentation permanente du revenu et donc du pouvoir d’achat », il déclara que les capitalistes avaient fait « exactement ce qu’ils devaient faire, d’après Marx, pour rendre la révolution sociale impossible, parce qu’inutile, c’est-à-dire sans objet[1] ».

Le « grand idéologue » d’un tel retournement du marxisme contre lui-même avait été Henry Ford, l’homme qui avait systématisé le principe de l’indexation des salaires sur les gains de productivité. D’où la déduction suivante, mêlant, en pur style kojévien, le plus grand sérieux et un non moindre esprit de provocation :

« [N]ous pouvons donc dire que Ford fut le seul grand marxiste authentique ou orthodoxe du 20ème siècle[2]. »

Lors de sa première parution dans la revue Commentaire en 1980, le texte de Kojève, nonobstant les réflexions centrales de son auteur sur le destin de l’Empire colonial français, se vit attribuer le titre suivant : « Capitalisme et socialisme. Marx est Dieu, Ford est prophète ».

Quinze ans plus tôt, au détour de son essai Terre et mer, récit de l’ « histoire mondiale » fondée sur une mythologie politique de l’affrontement immémorial entre puissances terrestres et puissances maritimes, le même Schmitt avait déploré le processus d’industrialisation de la chasse à la baleine, sa transformation en jeu de massacre, ayant recouvert d’un voile sordide la glorieuse époque…

Auteur : redaction
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