Addiction aux écrans : un diagnostic valide ? Quelle ampleur pour ce phénomène ?

Smartphones, tablettes, ordinateurs, téléviseurs, consoles… Les écrans et Internet font partie de notre quotidien pour une vaste étendue de services, parmi lesquels faciliter notre accès à l’information, traiter des données ou nous divertir. En moyenne, les Français passeraient 20 heures par semaine en compagnie d’écrans dans le cadre de leur activité professionnelle, et 36 heures pendant leur temps libre.

Tout en s’avérant profitable dans beaucoup de domaines, cette « cohabitation » avec les écrans a aussi vu émerger des difficultés et certaines inquiétudes, notamment lorsque l’usage est considéré comme excessif – et se trouve alors associé à des problèmes de sommeil, de performances scolaires, etc. L’expression « addiction aux écrans » s’est ainsi installée dans le débat public.

Ce sujet a été particulièrement repris pendant et après les périodes de confinements liées au Covid-19. Mais que peut vraiment dire la recherche sur « l’addiction aux écrans » ? Comment les critères médicaux de l’addiction se comportent-ils lorsqu’on les applique aux écrans ? Et quelle proportion d’usagers d’écrans serait alors concernée ? On se confronte alors à un manque d’études fiables, fondées sur des critères médicaux de l’addiction. Notre recherche récemment publiée apporte des éléments de réponse.

Addiction, de quoi parle-t-on ?

Quel que soit son objet, l’addiction se définit comme la perte de contrôle d’un objet qui était à l’origine une source de gratification pour l’usager.

Il s’agit d’une maladie chronique invalidante, source de détresse, caractérisée par une accumulation de dommages pour la personne atteinte, et sa rechute lors des tentatives de réduction ou d’arrêt. Le principal facteur prédicteur de la rechute est le craving, c’est-à-dire une envie persistante et involontaire de faire usage. Le craving est déclenché par des stimuli (les « cues », propres à la personne et/ou standards), et s’avère un ressenti particulièrement intrusif et déstabilisant qui pousse à l’usage.

Ces points d’addictologie fondamentaux nous permettent de faire une distinction essentielle entre trois modalités d’usage : l’usage sans problème, l’usage problématique (c’est-à-dire avec des dommages de différentes natures, mais sans perte de contrôle durable) et, enfin, l’usage avec addiction (maladie avec perte de contrôle, craving et rechute).

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Dans la nomenclature médicale DSM-5, l’addiction est diagnostiquée quel que soit son objet en appliquant un tronc commun de critères, avec certains ajustements pour les addictions comportementales (jeux d’argent, jeux vidéo). Ces nomenclatures diagnostiques sont régulièrement révisées avec les progrès de la recherche et tendent à s’uniformiser.

Un enjeu scientifique dans le débat sociétal sur les écrans, parfois polémiste, est de rappeler que l’addiction aux écrans n’est pas à ce jour un diagnostic reconnu. Cependant, cet état de fait ne signifie pas son inexistence, pas plus que son existence : seulement que c’est une question de recherche importante de notre époque et que davantage d’études scientifiques de qualité sont nécessaires pour passer du débat d’opinion au débat scientifique rationnel.

Obtenir des données fiables

Depuis 1994, notre laboratoire étudie les addictions, en particulier via la cohorte de recherche Addiction Aquitaine (ADDICTAQUI) portée en collaboration avec l’hôpital Charles-Perrens. Initialement ouverte aux personnes entamant des soins spécialisés pour les addictions aux substances, cette cohorte a été étendue au cours des années 2000 aux addictions comportementales, « sans substance », dont les écrans (mais aussi les jeux d’argent, les jeux vidéo, le sport, le sexe, l’alimentation…).

Regroupées, les addictions comportementales concerneraient environ 20 à 25 % des 5000 personnes incluses dans la cohorte ADDICTAQUI, avec pour moitié des problématiques liées aux écrans (notamment de jeux vidéo). Il est important de retenir qu’il s’agit ici d’entretiens de recherche réalisés au laboratoire, chez des personnes venant spécifiquement demander de l’aide dans un service spécialisé en…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Jean-Marc Alexandre, Attaché de recherche, Pôle InterEtablissement d’addictologie CH Charles Perrens – CHU de Bordeaux et Laboratoire SANPSY UMR 6033 CNRS, Université de Bordeaux