« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir »
Frantz Fanon, Les damnés de la terre, 1961
Des fois, avant de dormir, je demande à Dieu ce qu’il a prévu pour ma race
Si ça changera avant que je m’arrache
La Star Ac’ veulent des tismés, pas de grosses lèvres
Tous les jours je prie pour que mes négros se lèvent.
Despo Rutti, Le silence des macaques, 2006
Chaque soir, après avoir noyé mes heures dans les livres, après avoir joué le jeu, poli mon accent, lissé mes gestes, enfilé l’attitude attendue, je rentre chez moi. Cette chambre universitaire est à la fois une opportunité et un rappel. Une opportunité, me répète-t-on, que je dois justifier par mon acharnement. Alors j’avance, je donne tout, je m’épuise à prouver que j’ai ma place.
Entre ces murs austères aux couloirs feutrés, dans ces amphithéâtres où l’on disserte sur des concepts qui, bien trop souvent, ne nous prennent même pas en compte… Et lorsqu’ils daignent nous évoquer, c’est toujours de manière distante, froide et dominante, nous réduisant à de simples chiffres, à des ressources, à des objets d’étude. Alors, je me tiens droit, sage, appliqué. Mais à chaque regard qui pèse sur moi, à chaque mot prononcé, je ressens cette tension. Présent, mais jamais pleinement. Comme un invité dans une maison qui n’est pas la sienne, toléré tant que son silence demeure intact.
Et puis, en traversant les rues humides, je les croise. Ceux qui avancent autrement, ceux qui pédalent, silhouettes trempées sous une pluie indifférente. Ils ont, comme moi, l’épiderme trop noir pour disparaître dans le décor, trop visibles pour être ignorés, trop invisibles pour être regardés. Des ombres que personne ne voit vraiment, trop noires, trop marquées pour se fondre dans ce décor bourgeois sans que leurs corps ne crissent contre l’ordre établi. Des présences silencieuses que la ville tolère tant qu’elles restent…
Auteur: dev