Amitav Ghosh : « Le monde se prépare aux changements climatiques en préparant la guerre »

Amitav Ghosh est un romancier, essayiste et critique littéraire indien, vivant en partie aux Etats-Unis. Il a dernièrement publié Le Grand Dérangement : d’autres récits à l’ère de la crise climatique (Wildprojet, 2021) et La Déesse et le Marchand (Actes Sud, 2021).


Reporterre — Dans « Le Grand Dérangement », vous remarquez que depuis trois ou quatre décennies, le roman a adopté une approche individualiste qui se caractérise par une écriture du soi, de l’intime, alors que nous sommes confrontés à une crise planétaire sans précédent et que l’émission des gaz à effet de serre s’accroît à des niveaux jamais vus. Y a-t-il un lien entre ces deux phénomènes, et si oui, lesquels ?

Amitav Ghosh — Oui, il y a un lien. Cela date de la chute du mur de Berlin. La moitié des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ont été émises depuis 1989. Je pense que c’est à cette époque que le monde entier a été totalement absorbé par la culture de consommation. En même temps, il a adopté le modèle de fiction étasunien né dans les écoles d’écriture créative, écoles dont le développement a été favorisé par la CIA. C’est en Iowa que le premier de ces ateliers d’écriture a vu le jour, avec des écrivains tels que Wallace Stegner. L’idée était de créer une forme d’art et de narration dépolitisée : en réaction au réalisme socialiste soviétique, ils ont encouragé un nouveau modèle caractérisé surtout par une approche apolitique.

J’en constate les effets durables à travers le monde, même en Inde. Quand j’étais jeune, les romanciers indiens, surtout du Bengale occidental ou parfois de l’Inde du Sud, étaient engagés et écrivaient sur l’environnement. Par exemple, la grande écrivaine bengalie Mahasweta Devi, qui a écrit sur la forêt et les communautés tribales de la forêt. Mais aujourd’hui de plus en plus, les romans en Inde, qu’ils soient rédigés en anglais ou dans une des langues indiennes, adoptent souvent le modèle occidental et relatent la vie intérieure.

Est-ce à dire que l’écriture ou le cinéma, en adoptant une approche plus collective dans la description du réel, comme l’ont fait Steinbeck ou Zola à leur époque, pourraient aider à stopper l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ?

[Il rit] Les écrivains ne pourront pas changer le cours des choses. La littérature et l’édition ont beaucoup moins de poids qu’il y a trente ou quarante ans. La culture est aujourd’hui dictée par les réseaux sociaux, le…

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Auteur: kempf, Mathieu Génon Reporterre