André Gorz, immortel défenseur d'une « société du temps libéré »

Il avait la voix légère, les idées fortes. Marxiste, André Gorz ne se rallia à l’écologie que tard, la cinquantaine venue, mais le fit avec la passion du découvreur de trésor. Il lui apporta un socle politique encore solide, et une dimension sensible, propre à l’émanciper de la technologie et des chiffres. Surtout, ce pionnier de l’écologie sociale expliqua à ses frères et sœurs humains que l’écologie, c’était eux. Un arbre qui tombe, c’est un peu d’ombre et de douceur en moins, une rivière polluée, c’est une région qui meurt à petit feu.

Pour les aider à ne pas se laisser déposséder de leurs terres, de leur ciel, de leur joie de vivre, et retrouver le temps de défendre leurs biens, cet escogriffe à l’air déplumé a imaginé une « société du temps libéré ». Un projet d’écologie sociale, anti-technocratique et autogestionnaire. Son plus gros coup, avec sa quinzaine de livres publiés, qui gardent le secret de sa fabrique. Pas mal, non, pour un autodidacte, mi-philosophe mi-journaliste ?

Une « société du temps libéré »

André Gorz n’est pas né les pieds dans la boue ni la tête dans les nuages. Il est arrivé au monde en Autriche, à Vienne, un sombre 9 février de 1923, en pleine ascension de l’extrême droite nazie. Comme le Grec Cornelius Castoriadis, autre penseur d’une écologie politique citoyenne, il a ressenti, jeune, dans sa chair, le poison du fascisme. Comme lui aussi, il va passer sa vie à façonner une pensée qui permette de tenir tête aux autoritarismes de tous bords, et de rouvrir l’horizon : ce sera l’écologie politique, en tant qu’elle s’appuie sur la recherche de l’autonomie.

Pour Gorz, cela commence par la découverte de l’existentialisme, philosophie sartrienne qui invite à se découvrir par la mise au jour de ses déterminations familiales, sociales, etc., pour mieux décider de sa vie. Il la mettra en application dans son premier livre publié, Le Traître (1958), que Sartre, devenu un ami, préfacera. Cette phénoménologie existentielle sera le socle de sa pensée politique, comprise comme un moyen de favoriser l’accomplissement des individus, et de les accompagner dans la définition de leurs fins communes. Sa « société du temps libéré » s’en souviendra : rouvrir l’avenir, c’est permettre aux individus de se dégager du travail (contraint) pour penser et construire, ensemble, le monde dans lequel ils veulent vivre.

Dès La Morale de l’histoire (1959), il peaufine une « critique de l’aliénation », pour montrer combien ce travail obligatoire prive le travailleur de son sens du jugement et de l’initiative, le réduisant à un « chômeur intérieur ». « Notre vraie “misère” est là : [devoir]…

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Auteur: Catherine Marin Reporterre