Attendre

Dans ses Méditations pascaliennes, Pierre Bourdieu nous rappelle avec force que les réflexions philosophiques sur le temps et l’être-dans-le-temps pèchent très souvent, quasi structurellement, par une généralité et une universalité vite et mal ficelée, ignorant tout ce que l’ancrage socio-politique des uns, des unes et – plus encore – des autres produit d’écarts, de clivages et de singularités. Bourdieu souligne notamment combien la précarité sociale nous projette dans des formes d’irréversibilité du passé, de futilité du présent et d’imprévisibilité de l’avenir qui ne sont tout simplement pas du même ordre que celles que peut vivre « l’homme » générique dont les philosophes estiment pouvoir parler. Autrement plus radicales, ces formes d’épreuve du temps expulsent purement et simplement les classes dépossédées du long fleuve tranquille que peut être le temps des bien nantis : ni la stabilité d’un monde d’objets, ni la régularité des « emplois du temps », ni les pouvoirs consolants de la mémoire, ni surtout la projection et le projet ne vont plus de soi. Toute domination sociale est en somme une domination spatiale et temporelle, qui impose une certaine polarité, une certaine cadence et une certaine chronophagie, et qui doit donc être étudiée comme telle. C’est ce défi que relève le livre de Gaëtane Lamarche-Vadel, sur le cas particulier des étrangers dans la France de ce début de millénaire. En une centaine de pages aussi précises que concises, l’autrice va et vient entre les trajectoires singulières des « migrants », « arrivants », « demandeurs d’asile » et autres « sans-papiers » qu’elle a rencontrés, suivis ou accompagnés, et une analyse philosophique mais spécifique du lourd appareillage politique ou policier qui structure et déstructure un certain rapport au temps : celui de résidents impossibles – et éternels « migrants » – que sont lesdits…

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Auteur: Gaëtane Lamarche-Vadel