Au Chili, les millionnaires accaparent les terres du peuple mapuche

Grande île de Chiloé, (Chili), reportage

« Ici, il s’est passé des choses très graves et il s’en passe encore. » En passant sa main calleuse sur une carte jaunie par le temps, Cristian Chiguay narre la longue histoire des Williches. Installé aux portes de la Patagonie, dans le sud du Chili, ce peuple fait partie de la grande famille des Mapuches, principale ethnie autochtone du pays à laquelle s’identifient près de deux millions d’habitants — sur 20 millions de Chiliennes et Chiliens. Ces « choses très graves », c’est l’accaparement de leur territoire par l’État et sa vente par petits bouts à des millionnaires. Le phénomène prend de l’ampleur : des îles entières sont même proposées à la vente…

D’une voix tranquille, ce paysan vivant en quasi-autarcie dans le sud de la Grande île de Chiloé énumère les toponymes locaux. Dans sa langue, en mapudungún, il décrit bosquets, îles et rivières. En tant que « lonko » — représentant élu à vie — des soixante-dix familles de la communauté de Yaldad, il conserve chez lui toutes les archives des conflits territoriaux souvent violents qui ont émaillé l’histoire de son peuple. « Dans les années 1960, toutes ces forêts ont été vendues à un entrepreneur français qui voulait en exploiter le bois, raconte-t-il en pointant du doigt les collines environnantes. Aujourd’hui, elles font partie du parc naturel de Tantauco. Elles sont la propriété personnelle du milliardaire et ancien président Sebastián Piñera » — au pouvoir jusqu’en mars 2022.

Ironie de l’histoire, Tantauco est aussi le lieu où a été signé, en 1826 le traité marquant l’annexion par l’alors jeune État chilien de Chiloé, dernier bastion colonial espagnol dans la région. Ce texte, qui accorde une protection « inviolable » aux « propriétés des habitants de l’île », constitue le socle juridique sur lequel s’appuient toutes les revendications territoriales. « À Chiloé, sous l’occupation espagnole, les terres sont largement restées aux mains des Mapuches, rappelle Ricardo Alvarez Abel, anthropologue chilote spécialiste des modes de vie insulaires. Mais le traité de Tantauco n’a pas empêché l’État de mettre en place une logique brutale d’aliénation de la propriété et de vendre les terres sans discernement à des particuliers. »

« Ici, toute la terre peut être achetée ou vendue, même une île entière »

Ces dernières années, des îles entières de l’archipel ont tout bonnement été mises en vente sur internet. Les 83 hectares de Lacao, par exemple, ont été déclarés en vente sur la plateforme spécialisée Private Islands Online hébergée au Canada — pour un peu moins de trois millions d’euros. Si…

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Auteur: Reporterre