Au-delà du spectaculaire des Dix petits Nègres, le charme discret du racisme chez Agatha Christie — Rosa LLORENS

Curieuse mésaventure, que celle d’Agatha Christie, indéboulonnable interprète du politiquement correct pendant cinquante ans, aujourd’hui montrée du doigt par le politiquement correct à la sauce des années 2000 !

On peut encore trouver, sur une même étagère, les Dix petits Nègres, et Ils étaient dix, nouveau titre insipide, d’allure nostalgique, pas vraiment stimulant pour un polar. Mais il ne s’agit pas seulement d’un changement de titre : le mot « nègre » apparaît 73 fois dans le roman ; c’est donc à toute une réécriture qu’on s’est attelé, remplaçant les statuettes de Nègres par des statuettes d’Indiens. Mais est-ce vraiment une victoire de la lutte anti-raciste ? On peut se sentir choqué par le fait que l’Indien apparaisse comme une version euphémistique du Noir, et que la figure et l’histoire des Amérindiens soient ainsi considérées comme anodines ; quant au titre qui s’était imposé aux Etats-Unis dès 1940, Et il n’en resta plus aucun, on pourrait y voir une référence cynique à l’extermination des Indiens, qui s’est poursuivie aux Etats-Unis jusqu’au début du XXe siècle, à l’époque où se développait l’idéologie nazie. L’Île du Nègre, elle, devient l’Île du Soldat ; mais des associations d’anciens combattants pourraient se sentir blessées… Aussi, pour couper court à toute polémique, je proposerais une nouvelle version : Dix petits nounours sur l’Île des Bisounours.

La culture de l’annulation (cancel culture) montre ici toute sa nullité intellectuelle, car il n’y a pas la moindre allusion raciste dans Dix petits Nègres : Dame Agatha se contente de reprendre une comptine populaire, en faisant des dix petits nègres le symbole des dix blancs enfermés sur l’île. Mais la cancel culture ne recherche que le buzz, débusquer la présence réelle des stéréotypes racistes ne l’intéresse pas. Les occasions d’analyses sérieuses, de « déconstruction » concrète, contextualisée, ne manquent pourtant pas dans l’œuvre de Christie. Ainsi, contrairement à Hergé qui, dans la première version (avant censure) de Tintin au pays de l’or noir (1950 ) montrait le terrorisme sioniste de l’Irgoun, Dame Agatha prend parti pour le sionisme dès 1937, dans Rendez-vous avec la mort.

La littérature et le cinéma sont des témoins essentiels de la réalité historique : on constate ici, sur le vif, que la création de l’État d’Israël n’est bien sûr pas une trouvaille généreuse de l’après-guerre pour compenser les malheurs des…

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Auteur: Rosa LLORENS Le grand soir