Au musée Jacquemart-André, explorer notre part d’ombre avec Füssli

Au musée Jacquemart André, à Paris, se tient actuellement une exposition consacrée au peintre anglais d’origine suisse, J. H. Füssli (1741-1825). La dernière rétrospective de ce type, en France, remontait à près de cinquante ans. C’est dire la portée de l’événement. L’occasion est donc toute trouvée de formuler deux propositions. La première porte sur la capacité qu’aura eue un artiste étranger de se fondre dans le creuset de l’art anglais, en surmontant pour cela une double résistance : résistance du peintre que son tempérament ne portait pas à l’assimilation, et résistance d’une nation volontiers xénophobe, mais qui n’en oublie cependant pas que ses grands peintres ont souvent été d’origine étrangère. Ainsi que l’écrivait Jean-Jacques Mayoux, auteur en 1969 d’une histoire de La peinture anglaise qui n’a pas pris une ride : « De Holbein à Lucien Pissaro, tout étranger ‘s’anglicise’, tout apport étranger est intégré. Une force, dont on serait tenté de dire qu’elle est plus naturelle et instinctive que culturelle se met à l’œuvre et assure cette intégration, par-delà les inévitables réactions de défense organique. »

Faire parler de soi

C’est en 1779 que le natif de Zurich, que son père destinait à la profession de pasteur, est de retour à Londres, après diverses péripéties qui l’ont conduit, d’abord à Berlin puis à Paris, où il fait la connaissance de Jean-Jacques Rousseau, et enfin à Rome, pour y découvrir Michel Ange. Commence alors une série de coups de force artistiques, dont l’exposition rend compte dans le détail. Ambitieux, il entreprend de concurrencer sur son propre terrain nul autre que Joshua Reynolds, Président de la Royal Academy, qui lui avait pourtant mis le pied à l’étrier, dès 1768. Avec sa propre version de La mort de Didon (1781), Füssli se démarque du même motif peint par Reynolds quelques mois auparavant. D’instinct, il a compris que pour percer dans la profession, il faut faire parler de soi. De fait, tous les regards écarquillés s’étaient immédiatement tournés vers l’impudent trublion… pour ne plus le lâcher des yeux. Il faut dire que jusqu’à sa mort, l’amoureux impénitent, s’éprenant de chacune de ses modèles, dont l’écrivain féministe Mary Wollstonecraft, la mère de la future autrice de Frankenstein, n’aura cessé de porter la contestation au cœur de l’Establishment, quand bien même ce dernier le nourrissait.

Johann Heinrich Füssli, La mort de Didon, détail.1781.
Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven

L’art de l’appropriation

Mais l’essentiel de la stratégie menée par cet étranger nommé Johann Heinrich Füssli, et qui lui vaudra d’être renommé John Henry Fuseli, tient dans un mot, aujourd’hui malvenu, mais c’était moins vrai hier :…

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Auteur: Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL