Au nom de quoi ?

C’est un autre que moi qui parle. Je ne suis pas sûr d’assumer ses paroles intégralement, jusqu’au bout. Elles me sont venues comme déduites d’une logique imprévue.

Je ne parle au nom de personne, ni du mien, ni de celui de Dieu. Mon nom, lorsqu’on l’appelait en classe pour m’interroger ou me punir, était chaque fois le signe, la marque symbolique à même le corps de la terreur.

Même lorsque je savais que je n’avais rien fait de mal, qui put m’être reproché, j’entendais que par mon nom on appelait un autre que moi, un captif de je ne savais quelle prison. Aujourd’hui, j’ai appris à parcourir les murs de cette taule, à la reconnaître, pour mieux m’en échapper, bien que parfois, dans les temps de faiblesse, on me rattrape et m’y reconduit dare-dare sans même que je m’en sois vraiment aperçu.

C’est cet autre qui parle ici en moi, que je n’admets pas comme identité, auquel je ne veux pas me soumettre, ni me confondre. Le poème énonce « Je est un autre » (il paraît que ce n’est pas vrai, je n’en sais rien), alors ce n’est pas cet autre-là à qui je laisse la parole en ce moment. L’autre du Je, s’il existe, sans doute laissant quelque trace, est une fuite, une échappée, un étranger affranchi du soi-même, évadé de la prison du Moi, par « le dérèglement de tous les sens », ou tout autre moyen du bord. Il parle et vit autrement, s’invente un autre nom, quand ce ne sont pas ses amis qui lui donnent : Artaud le Mômo, Alvaro de Campo, Black Bull, La Filoche, Gracchus…, comme qui, refusant l’assignation à résidence dans son nom, est ce qu’il devient (ce qui ne va pas de Soi).

Celui que je veux faire entendre maintenant est donc cet insupportable captif, d’un bref récit qui me pose encore question à l’heure qu’il est, bien que j’aie pu depuis l’apprivoiser comme une bête enchaînée à son Nom dé-nommé, rôdant dans mes parages. Qu’on ne me parle pas de Surmoi, ou de la Loi dont il serait le sujet assujetti. Non, c’est plus simple, et plus compliqué à la fois.

Captif d’abord d’une famille et d’un milieu. Né d’un foyer ouvrier, il se sentait d’emblée faire partie de l’immense famille des sans nom, qui sont aussi les sans part. D’où peut-être, en amont de l’angoisse existentielle et « ontologique » (de quel être suis-je donc le sujet, l’expression, suis-je même sûr d’être ?), la terreur de l’identification à travers un nom donné, reçu, assigné, hérité sans nulle gloire d’origine – noblesse, ou…

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Auteur: lundimatin