Autonomie et dissidence en Grèce ancienne

Il y a quelques mois paraissait aux Editions la Tempête un petit livre de l’un des philosophes italiens les plus importants des dernières décennies du XXe siècle, Gianni Carchia. Après avoir intensément participé aux agitations révolutionnaires des années 1970, et traduit des auteurs comme Adorno, Benjamin ou Jacques Camatte, il rédige Orphisme et tragédie pour comprendre ce sur quoi les mouvements ont – et continuent de – buter. Cet auteur, d’une grande originalité et érudition, a consacré son existence à éclaircir, défricher et démystifier les rapports complexes entre l’esthétique et le politique. L’art n’a pour lui vocation à exister ni comme espace indépendant du politique ni comme simple vecteur et medium d’idées politiques : sa charge critique réside dans ce que Carchia nomme son autonomie et dont il fait l’archéologie en Grèce ancienne.

D’entrée de jeu, ce petit livre de Gianni Carchia – introducteur de Benjamin en Italie dans les années 1970 et philosophe esthétique de la Grèce proche du mouvement autonome – nous renvoie au problème, à la fois étouffé par la tradition scolastique et toujours brûlant pour toute personne s’intéressant à l’art/la poésie, de l’autonomie de l’art : « L’attribution à l’art d’un espace d’indépendance toujours plus affirmé a procédé parallèlement à l’évanouissement du sens de son autonomie originelle ». Cette affirmation vient troubler la conception dominante de la modernité poétique qui situe, à renfort de citations isolées de Baudelaire ou de Mallarmé, sa grandeur dans son autonomie : le beau rompt la triade platonicienne qu’il composait avec le vrai et le bon pour ouvrir à ses sectateurs un horizon de liberté et de possibles spéculativement infinis, lequel horizon, comme les autres, n’a pourtant pas manqué de se boucher au cours des dernières décennies. En termes plus prosaïques : on peut certes faire tout ce qu’on veut en art/poésie, mais on voit bien que ça ne mène à rien du tout.

Gianni Carchia s’inscrit contre une telle banalisation de l’idée d’autonomie qui neutralise en réalité sa charge critique. L’autonomie « originelle » dont il parle dans Orphisme et tragédie ne revêt pas la forme de la liberté démocratique bourgeoise en vertu de laquelle l’art, comme n’importe quel autre domaine, aurait le droit à sa vérité et à ses valeurs propres (et aux subventions correspondantes, est-on tenté d’ajouter), de même que chacun a le droit d’avoir et d’exprimer…

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Auteur: lundimatin