Aux enfants de Cadillac

Photo : Stéphan Ferry

Lire aussi Alain Garrigou, « Panthéon, on y entre, on en sort », Le Monde diplomatique, novembre 2021.

« Oubliés au champ d’horreur », titrait L’Humanité en 2005. « Un millier de tombes flanquées de croix de fer d’un modèle unique, écroulées sur elles-mêmes sous le poids du temps et de la négligence. Sur les allées qui les longent, fémurs, mâchoires et éclats de crânes humains se mêlent aux graviers ». Sans compter les croix sans nom, les restes mis dans des sacs en plastique et stockés dans un ossuaire. C’était là le « cimetière des oubliés », à Cadillac, en Gironde. Un cimetière lié à l’histoire de l’asile d’aliénés, comme on disait alors, ouvert en 1923 pour les soldats traumatisés par les combats. Sépultures en pleine terre, croix de fer, plaques nominatives, qui ont disparu. Dans Les enfants de Cadillac (Gallimard, 2021), François Noudelmann raconte l’histoire de son grand-père, mort à l’hôpital psychiatrique de Cadillac et enterré dans ce cimetière. Comme le mien. L’endroit vient d’être réhabilité. Les morts ont maintenant un nom. Noudelmann ne semble pas s’en réjouir, et paraît même chercher la polémique. Or, on ne se met pas nécessairement en quête de son passé et celui de ses aïeux pour se « construire d’augustes histoires ». Pour ma part, il s’est agi de me construire une histoire tout court. Je n’ai jamais trouvé « douteux » ceux qui n’en ressentaient pas le besoin. Pour autant, cherche-t-on à « vampiriser » les « momies d’un autre temps » en écrivant sur eux ? Au contraire, on cherche à s’en libérer. À les mettre à distance. On publie pour rendre public, pour que le secret qui a pesé sur des générations soit enfin partagé, et à ce titre, ne nous écrase plus.

En 2012, j’ai publié Voyage en italique (Transboréal), en mémoire de mon grand-père, enterré là en octobre 1944. C’était une façon aussi de lui bâtir une tombe. Enfreindre les interdits pour ne pas laisser un parent sans sépulture existait déjà chez les Grecs. F. Noudelmann semble questionner cet élan. Je ne me souviens plus du nom de ce descendant de républicain espagnol, rencontré au cours d’un reportage, dont l’oncle avait bravé les lignes franquistes pour récupérer son frère jeté dans une fosse commune. Je me souviens en revanche de Lee Chong, dans Rue de la sardine, de John Steinbeck, un commerçant impitoyable, mais « tendre avec les os de son…

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Auteur: Pascal Corazza