Aux héros de la poésie

Cinquième volet de la série « Enjoy the ride » (#ProseAStreamer), on poursuit ici la contribution à la paraphrase infinie comme une célébration des héros de la poésie. Cette fois, on propose plus précisément de descendre auprès des phrases imprononçables, assassinées, tues, biffées, qu’à peu près nous sommes. De là le recours comique à la nécromancie pour que revivent les assassinés. De là aussi l’annonce d’une bonne nouvelle ou d’une morale à venir : « une morale vivante des assassinés qui reviendront, quand ils sauront ».

Toutes ces phrases imprononçables auxquelles même on a dû renoncer – sans pourtant le savoir. Toutes ces phrases qui virevoltent là, derrière le Golgotha, dessus le Calvaire peut-être, au mont duquel seulement il est encore possible de fuir. Fuir : comme le souffle bruissant des collines à habiter. Ces phrases sans origine, sans fin, peuple de phrases sans forme, aériennes – à peine –, pas encore formées. Tout un lumpenproletariat du langage, inouï, logé dans ses crevasses, dont le bruit incessant remonte comme en échos, lointains, répétant, bourdonnant. Ces phrases bandites, bannies, en cavale, qui ne vont pas à la ligne mais en tracent, ne savent pas remplir de formulaires et ne veulent rien du centre sauf le trouer : elles harcèlent le maître esprit, elles font le siège et lui panique. Peuple de phrases poudroyantes, sans voix, sans figure, sans visage, mais qui murmure, danse et repeuple le désert : ton Crâne. On dirait une rumeur qui siffle, une sirène qui tente. On dirait qu’elle percute l’intérieur de tes parois, comme le son aigu d’un sonar aléatoire, déboussolé, à toute vitesse, qui va et vient traversant les murs, se soulève de très loin depuis déjà avant le commencement. Avant le sens, les mots, la parole. Et même avant le signe. Et même peut-être avant le bruit. Des phrases-reliques, d’après le dépeçage en règle du langage obèse, dégoulinant, surchargé de sens autoroutier avec ses péages et ses checkpoints gardés par tous les flics, académiciens, professeurs, préfets, bénisseurs de bonnes manières qui font la circulation bien droite (l’orthophrasie) ! qui bouche toutes les artères. Toute expérience poétique de lalangue est art, c’est-à-dire technique, de la resquille face aux agents du maintien de l’ordre communicationnel – quand j’écris, moi aussi : « Je suis caché et je ne le suis pas ». Toute expérience poétique de lalangue…

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Auteur: lundimatin