Avec l'avion, nos fraises ont un arrière-goût de carbone

Jean-Manuel Traimond est écrivain.


On critique avec raison l’abus du transport aérien des êtres humains. Mais le fret, alors ? C’est pourtant un tiers du commerce international en valeur. Car les profits aussi montent jusqu’aux cieux, sous les ailes suceuses d’oxygène : l’extrême rapidité, la très grande sécurité, la quasi totale fiabilité du transport aérien favorisent la logique du « juste à temps », du « à flux tendu », dont le but est de minimiser l’immobilisation des capitaux, qui ne seront plus gelés dans des stocks, mais lancés sans délai dans l’incessant carrousel production-consommation.

D’autant que les frais d’assurance diminuent, puisque la nature, la durée et la gravité des risques aériens diminuent elles aussi. Très tendance, tout cela, en ces temps d’e-commerce, de grandissante incapacité du consommateur à supporter le moindre délai, de grandissante exigence que les lunettes connectées fabriquées au fin fond du Shandong (Chine), entraperçues sur son écran de smartphone, lui soient livrées en quarante-huit heures. 

Quarante-huit heures ? Attristante nonchalance, regrettable lenteur que M. Bezos s’efforce de jeter dans les poubelles de l’histoire.

La fraise de Plougastel (Finistère) apparaissant sur les marchés de Tokyo, l’avocat de Bolivie sur ceux de Plougastel, le haricot vert du Kenya couronnant le roulé au jambon de Quimper, le raisin du Chili trônant sur la bûche de Noël à Neuilly, voilà l’apothéose du fret aérien ! La Païva, illustrissime travailleuse du sexe sous Napoléon III, se faisait une gloire d’offrir du raisin en janvier à ses invités — Gustave Flaubert, Théophile Gautier ou les frères Goncourt : grâce à Fedex et Roissy, nous pouvons tous nous imaginer en crinoline coquine devant notre chasselas hivernal !

Publicdomainpictures.net/CC0/Peter Griffin

Comme la dose fait le poison, l’abus fait la pollution

D’aucuns ne manqueront pas de souligner que la rapidité du fret aérien a bien des avantages. Les vaccins ont des dates de péremption, les catastrophes et les famines réclament que l’on achemine médicaments, nourriture, couvertures, tentes, etc., au plus vite quand des vies sont en jeu, les usines entières paralysées par la panne de telle, menue mais rare, pièce d’un robot essentiel reprennent espoir dès qu’arrive, salvateur archange mécanique, le vol intercontinental de DHL, et la greffe d’organes ranime bien plus de vies grâce aux avions. 

Il ne s’agit donc pas de crier haro sur le Boeing, mais…

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Auteur: Reporterre