Avec les Vilaines

Une coulée de lave, comment ne pas l’aimer ? Comment ne pas aimer le rougeoiement somptueux qui s’avance, l’insoutenable lumière blanche en son cœur et jusqu’à la croûte noire et malsaine qui l’enveloppe et qui derrière elle se fige, comment ne pas aimer la destruction même qu’elle apporte partout où elle passe ? Les Vilaines (Métailié) détruisent la tranquillité du lecteur, elles le bousculent dans ses repaires genrés

Et cela, alors que pas une seule fois, me semble-t-il, on n’y rencontre les lettres lgbtqi, ce pilier désormais durement planté au creux de la pensée critique dominante : ce livre bouscule tant qu’on n’est pas obligé de connaître l’identité revendiquée de l’auteure pour entrer dans la peau de sa protagoniste transgenre (quant à moi, il a fallu qu’à la moitié de la lecture, j’aille errer sur Internet, pour m’apercevoir que Camila Sosa Villada n’était pas née femme). Les Vilaines ne portent en elles pas un gramme de dolorisme militant, elles ne nous épargnent pas la rude couche de crasse noire qui couvre les vies des trans de Cordòba, cette crasse où se mêlent les sanies des misères psychiques et économiques, et la glue du regard des autres, mais ces vilaines-là sont aussi d’une beauté qui coupe le souffle, tant elles en ont. Le lyrisme de Sosa Villada réussit le miracle de paraître constamment naturel, comme émanant du cœur de la narratrice, de sorte qu’on ne se pose jamais la très chiante et oiseuse question du « vécu » de l’auteure.

Dans Les Vilaines (quel titre délicieux !), réalisme et merveilleux s’allient avec tant d’aisance qu’on ne songe pas une seconde au sempiternel « réalisme magique » – on n’est ni chez Garcia Marquez, ni chez Fellini : mais on croit aux Hommes Sans Têtes, à la tante Incarna, « cette déesse aux pieds de boue et aux mains de boxeur » dont les seins sont gonflés à l’huile de moteur d’avion, à Eclats des Yeux, l’enfant trouvé qui en fera jaillir du lait, on croit à Maria, la muette qui deviendra oiseau. On croit à Sandra la folle.

« Les trans avancent sur leurs talons qui ressemblent aux pieds pourris des tables inutilisables » et de chacune nous partageons l’état d’âme : « elle était brisée comme un verre et t’écorchait avec les contours de ses propres blessures ». Car, ce qui fait son identité, justement, c’est qu’elle n’en a pas : « Quitter tous lieux. C’est ça, à la fin, être trans. »

Lisez les trois extraits qui suivent, sur Sandra la Folle, sur…

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Auteur: lundimatin