Avorter en France : oui, mais discrètement

Inscrire le droit à l’avortement dans la constitution ? Une telle mesure, réclamée par une partie de la classe politique – et récemment rejetée par le Sénat – pour empêcher un scénario à l’américaine, se heurte à la stigmatisation durable de l’avortement, acte médical toujours considéré comme « à part ».

En 1975, le vote de « la loi Veil » autorisait, sous d’étroites conditions, les femmes enceintes ne souhaitant pas poursuivre leur grossesse à avorter auprès de professionnel.les de santé compétent.es. Depuis le début des années 2000, ces conditions se sont faites moins contraignantes.

Outre un allongement du seuil légal d’IVG (10 semaines de grossesse en 1975, 12 en 2001 et 14 depuis mars 2022), la législation tend à autonomiser les choix procréatifs des femmes : la fin de l’obligation légale d’un entretien psychosocial pré-IVG pour les personnes majeures en 2001, la suppression de la mention d’une « situation de détresse » en 2014 et du délai de réflexion d’une semaine en 2016 pour accéder à l’IVG sont autant de décisions politiques qui facilitent l’accès au soin.

Pourtant, une clause de conscience spécifique à l’IVG, autorisant les médecins à refuser de prendre part à un avortement, maintient une distinction symbolique entre cet acte et les autres actes médicaux.

La désinformation en ligne est par ailleurs si importante qu’elle a mené, en 2017, à compléter le délit d’entrave à l’IVG, formulé au début des années 1990 pour lutter contre les actions agressives des anti-IVG, par un délit d’entrave numérique, quasi inapplicable en pratique.

Les démarches effectives restent opaques pour les premières concernées et chaque année, plusieurs milliers de femmes, enceintes au-delà du seuil légal d’IVG en France, se déplacent à l’étranger pour avorter.

Impossible de considérer l’IVG comme un acte médical comme les autres

Impossible, donc, de considérer l’IVG comme un acte médical comme les autres. Pour un certain nombre de praticien·ne·s, l’orthogénie (la pratique des IVG) n’est d’ailleurs pas envisagée comme partie intégrante de la gynécologie – obstétrique ou médicale – ou elle en constitue a minima l’aspect le moins valorisé et valorisant.

Malgré sa grande banalité statistique, puisqu’une femme sur trois en moyenne interrompt volontairement une ou plusieurs grossesse(s) au cours de sa vie féconde, l’IVG reste socialement perçue comme illégitime.

Les femmes qui avortent, leur conjoint éventuel, mais aussi les professionnel·le·s de santé, sont exposé·e·s à une stigmatisation protéiforme – allant du regard ou commentaire déplacé aux violences physiques et psychiques – dont les effets sont bien réels.

Concrètement, avorter demeure moins un droit qu’une concession faites aux femmes, dont on attend, outre l’expression d’une tristesse, voire d’une culpabilité, un…

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Auteur: Laurine Thizy, Professeure agrégée de sciences économiques et sociales, doctorante en sociologie à l’Université Paris 8, rattachée au laboratoire CRESPPA-CSU, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis