Birds of America ou l'Amérique comme cimetière — Rosa LLORENS

Il s’inspire de l’œuvre du Français Jean-Jacques Audubon, installé aux Etats-Unis en 1803, l’année où la Louisiane, vendue par Napoléon, devient anglaise. Entre 1805 et 1850, Audubon parcourt le territoire traversé par le Mississipi et descend le fleuve, en dessinant toutes les espèces d’oiseaux qu’il rencontre. Son œuvre marquera d’une profonde empreinte la culture des EU. Au niveau anecdotique, on peut citer la séquence du Grand Sommeil où Humphrey Bogart, affublé de lunettes d’intello, demande une édition imaginaire des Birds of America dans une librairie de livres rares qui n’est qu’une couverture pour un autre commerce.

Mais son influence est bien plus importante : d’après Lœuille, Audubon montrait aux Étasuniens le pays qu’ils fantasmaient, celui de la wilderness, la nature sauvage qu’ils étaient justement en train de détruire, comme ils aimaient eux-mêmes se voir en rudes forestiers, aux qualités, courage, endurance, austérité, rude franchise, forgées par elle. Cette contradiction découle de leur croyance à un destin exceptionnel : Dieu leur avait donné d’immenses espaces accordés à leur caractère, mais aussi le devoir d’exterminer leurs occupants antérieurs, hommes et bêtes, pour les développer à leur façon.

Cette ambiguïté est d’ailleurs présente chez Audubon lui-même : Lœuille en fait un pur héros de l’écologie, sensible à l’appauvrissement de la Nature, au fur et à mesure des progrès de l’industrialisation, et lanceur d’alerte ; mais quelques détails inquiètent le spectateur : il est toujours représenté avec un fusil, et puis, on se demande comment il pouvait dessiner ses oiseaux, pris sur le vif dans la nature, avec autant de précision, et dans des attitudes si pittoresques. En fait, on apprend sur Wikipédia qu’il tuait ses modèles et les installait, grâce à un système de fils, dans des poses recherchées, avant de les peindre. Son tableau de chasse quotidien comportait une centaine d’oiseaux !

Mais Lœuille l’idéalise pour nous sensibiliser à la destruction actuelle de la faune et des paysages le long du Mississipi. « C’est le Paradis », dit la voix off, parlant de l’époque d’Audubon. On pourrait l’illustrer par les descriptions émerveillées qu’en faisait Chateaubriand, après son voyage en Amérique en 1791, dans sa nouvelle Atala :

« des oiseaux-moqueurs, des colombes de Virginie, de la grosseur d’un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises ; des perroquets verts à tête jaune, des piverts…

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Auteur: Rosa LLORENS Le grand soir