Bivouac au sommet du mont Blanc : esprit de l’alpinisme, es-tu là ?

Depuis fin décembre 2022, une polémique traverse le monde de l’alpinisme : le maire de Saint-Gervais a porté plainte contre deux jeunes grimpeurs après leur bivouac au sommet du mont Blanc (début octobre 2022) ; bivouac filmé et posté sur YouTube.

La plainte repose sur l’arrêté de protection des habitats naturels (APHN), qui interdit le bivouac sur la voie normale du toit de l’Europe, initialement pour éviter la surfréquentation estivale.

La réaction des acteurs de l’alpinisme est unanime : le syndicat interprofessionnel de la montagne (SIM), le syndicat national des guides de montagne (SNGM) et la fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM) s’opposent vivement à cette plainte, pétition à la clé.

Pour eux, cette initiative s’inscrit dans le fameux « esprit de l’alpinisme », auxquels ils se réfèrent dès lors qu’une polémique a cours, en particulier lorsqu’il s’agit du « grand alpinisme », autre nom donné à l’alpinisme de haut niveau.

On remarque également qu’il sert de justification aux exploits sur les sommets. Ainsi les Piolets d’Or, qui distinguent les meilleures ascensions de l’année, l’invoquent dans leur charte et récompensent des périples témoignant, justement, de cet « esprit ».

Le mont Blanc, toit de l’Europe, culmine à 4 807 m.

Mais de quoi s’agit-il ? On pourrait le décrire comme un ensemble de règles, de valeurs, de croyances, qui encadrent l’alpinisme et définissent les « bonnes » manières de le pratiquer. L’esprit de l’alpinisme n’est pas invoqué par tous, mais par ceux qui ont le pouvoir de fixer les normes de l’excellence, à savoir les meilleurs alpinistes ou les institutions les plus reconnues.

Ce faisant, cet esprit sert à identifier et à distinguer les « grands » ou les « vrais » alpinistes des autres usagers des montagnes.

Les précurseurs : des bourgeois de l’Angleterre victorienne

J’ai mené une recherche de plusieurs années, dans une perspective à la fois sociologique et historique, pour comprendre la teneur de cet esprit, mais aussi pour montrer le lien qui l’unit avec la manière dont on conçoit l’excellence en alpinisme. Pour cela, je suis remontée aux origines de cet esprit.

Il a été forgé dans l’Angleterre victorienne de l’Alpine Club, le premier club alpin au monde, créé en 1857, près de vingt ans avant son équivalent français, le CAF (Club alpin français).

Des membres de l’Alpine club à Zermatt, dans les Alpes suisses, en 1864.
Wikimedia

Même si cela peut paraître surprenant au vu de la topographie britannique, ce sont bien des bourgeois anglais, à la pointe de l’alpinisme (dans les Alpes, mais aussi dans le Caucase ou l’Himalaya) jusqu’à l’entre-deux-guerres, qui lui ont donné ses codes et ses valeurs.

Pourquoi l’Angleterre ? Plusieurs facteurs se conjuguent pour y expliquer la naissance de l’alpinisme : un contexte de paix intérieure (quand la France est marquée par des troubles politiques), l’apparition d’une nouvelle classe bourgeoise issue de la révolution industrielle, férue d’exploration et abreuvée de l’idéologie impérialiste de l’époque ; mais aussi marquée par des valeurs sportives inculquées dans les écoles et universités destinées aux garçons des élites sociales, aux « gentlemen ». En effet, le sport moderne apparaît en Angleterre à la même époque.

Le développement des transports favorise dans un premier temps l’arrivée de ces conquérants d’un genre nouveau dans les Alpes, dont ils escaladent la grande majorité des sommets vierges pendant leurs congés estivaux, car la plupart travaillent – comme hommes d’affaires, avocats ou juges, professeurs, médecins, toutes ces professions prestigieuses de l’époque.

Ils se tourneront ensuite vers des massifs plus éloignés où ils chercheront, là encore, à « faire des premières ». Parmi eux l’Everest, dont l’accès est fermé aux autres nations pendant les années 1920 et 1930, période intense d’expéditions britanniques (infructueuses) sur la montagne.

Aujourd’hui encore, en Angleterre comme en France, les alpinistes sont issus de milieux qui restent globalement favorisés, malgré une démocratisation de la…

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Auteur: Delphine Moraldo, Sociologue, ENS de Lyon