« Black Panther : Wakanda Forever », ou la revanche des subalternes

Ce billet divulgâche sans scrupules l’intrigue de Black Panther : Wakanda Forever. Aussi, n’hésitez pas à voir le film avant de le lire.

Il y a bientôt cinq ans, sortait sur les écrans le film de la franchise Marvel Black Panther, réalisé par Ryan Coogler. J’avais alors la chance de me trouver à Ibadan, au Nigeria, où j’assistais à son accueil enthousiaste par le public nigérian, à l’image de la réception du film ailleurs sur le globe et particulièrement en Afrique.

L’intérêt du premier Black Panther résidait surtout dans la représentation en majesté d’une nation africaine n’ayant jamais été colonisée, le Wakanda. Pour cette raison notamment, ce royaume est à la fois présenté comme fier de son identité, de son organisation sociopolitique ou encore de son architecture uniques, et doté des technologies en termes d’urbanisme, de santé ou encore d’armement les plus avancées au monde, grâce à ses importantes ressources en vibranium sur lesquelles aucune puissance étrangère n’a jamais pu mettre la main.

Un laboratoire afrofuturiste

Pour ce second volet, le réalisateur Ryan Coogler a fait le choix d’approfondir cette proposition géopolitique alternative en l’assortissant d’une charge renforcée contre les entreprises (néo)coloniales européennes et l’exploitation des ressources des pays du Sud par le Nord.

Ce pari en apparence original, voire risqué pour une grosse franchise américaine et grand public telle que Marvel, ne fait en fait que reproduire une pratique classique des autrices et auteurs de fiction spéculative, visant à critiquer le passé et/ou le présent de leur société en imaginant des scénarios alternatifs.

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La fiction est utilisée dès lors comme un laboratoire permettant de tester d’autres possibles, qui auraient pu ou pourraient être, comme l’analysent les autrices Ursula K. Leguin ou Nnedi Okorafor et des chercheuses comme Donna Haraway et Isabelle Stengers ou encore le politiste Yannick Rumpala.

Sci-fi stories that imagine a future Africa | TED.

Comme le remarque l’historien Julian C. Chambliss à propos du film, Ryan Coogler et son équipe s’inscrivent aussi dans le sillage des artistes se revendiquant de l’afrofuturisme, en remettant en lumière des savoirs et savoir-faire noirs ayant contribué aux avancées de la science et de la société, mais qui auraient été annihilés par l’esclavage et la colonisation :

« Par cette fascination à révéler comment les contributions noires ont été effacées et supprimées, les productions afrofuturistes commencent souvent par explorer le passé pour mieux créer d’autres visions du futur [ma traduction] ».

Ouverture de l’album Space is the place (1974) de Sun Ra, musicien emblématique du mouvement afrofuturiste afro-américain.

Une proposition géopolitique alternative

L’originalité de Black Panther : Wakanda Forever se situe en revanche dans le choix de baser sa proposition géopolitique alternative, où le Nord n’est plus le maître de toutes les ressources et la plus grande puissance du globe, sur le recours non seulement à un royaume africain jamais colonisé, mais aussi à une nation secrète et aquatique inspirée du mythe de l’Atlantide et surtout de l’histoire mésoaméricaine et des mythologies précolombiennes, Talokan. Celle-ci est dirigée depuis cinq siècles par un demi-dieu aux chevilles ailées, Ku’ku’lkán, le dieu serpent à plumes en langue maya, ou Namor tel que le « baptise » un missionnaire catholique le qualifiant de « niño sin amor » (enfant sans amour). Ce dernier est sorti de l’esprit de l’auteur américain de comics Bill Everett en 1939, ce qui en fait l’un des premiers super héros Marvel.

Ryan Coogler et ses collaboratrices et collaborateurs, dont Hannah Beachler et Ruth Carter, primées respectivement pour la beauté et la richesse des paysages et de l’architecture du Wakanda et pour les costumes du premier Black Panther, ont cependant préféré travailler avec des historiens maya pour privilégier les références mésoaméricaines et…

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Auteur: Emilie Guitard, Chargée de recherche en anthropologie au CNRS, membre de l’UMR Prodig et chercheure associée à l’UMR LAM, intervenante dans le Master DYNPED, Université Paris 1, Université de Bordeaux