Boxer avec les ombres, ou la nuit des objets

« La réalité est la beauté suprême », affirmaient Naum Gabo et Anton Pevsner dans ce qui est considéré comme le premier manifeste constructiviste, le Manifeste réaliste de 1920. Ils y affirmaient également : « Nous savons que chaque objet possède une essence qui lui est propre et unique. Une chaise. Une table. Une lampe. Un téléphone. Un livre. Une maison. Un homme. Chacun est en lui-même un univers complet avec ses rythmes particuliers et ses orbites particulières. » A leur suite, ce que les artistes que l’on peut classer dans une définition élargie du constructivisme auront toujours su mettre en relief, ce sont les processus de formation eux-mêmes – leur structure ou l’énergie qui les conduit guidant seule, ou presque, leur esthétique.

L’apport des constructivistes russes à cette démarche s’est ainsi réalisé sous le sceau d’un lien avec les forces et les rythmes élémentaires du cosmos dont la dimension éperdue fut et reste certainement sans équivalent du point de vue poétique. Si l’acte de rupture que ces artistes qui se déclaraient ingénieurs ont promulgué a été de chercher dans les formes quelque chose comme une « vérité de la fonction », il y eut aussi en eux quelque chose qui les déporta toujours vers d’autres territoires, en particulier à travers la recherche d’exemples dans les folklores ou les arts anciens qui ramenait dans leurs démarches une charge spirituelle ou émotive d’une très grande finesse, et qui, à près d’un siècle de distance, continue de nous émerveiller. Cette vie entourée d’objets chargés, comme des piles, de leur propre utopie et de leur propre usage, et conçus comme des élégies à la beauté, la modernité du XXe siècle a su la ré-inventer jusqu’au moindre signal à partir de l’expérience humaine du monde. L’expérience d’une chaise, l’expérience d’un éclairage, l’expérience d’une poignée de porte, mais aussi celle de la…

La suite est à lire sur: lundi.am
Auteur: dev