C-18 : Meta menace à nouveau de retirer les contenus d’information canadiens sur Facebook

Comme un déjà vu dans un mauvais film, la multinationale Meta Platforms menace de bloquer l’information sur Facebook au Canada si le projet de loi sur les nouvelles en ligne (C-18), en ce moment à l’étude aux Communes, est adopté.

L’entreprise de Mark Zuckerberg a déjà fait le coup en Australie. En février 2021, elle avait retiré les contenus journalistiques pour ses abonnés australiens avant l’adoption d’une loi qui, comme C-18, force Google et Facebook à négocier des ententes de partage de revenus avec les entreprises de presse australiennes.

Après six jours de blocage, celle qu’on appelait encore Facebook, à l’époque, était revenue sur sa décision. J’avais écrit que le Canada pourrait être sa prochaine cible, même si les menaces, en 2021, étaient voilées. Dans un communiqué publié le 21 octobre 2022, le chef des partenariats avec les médias de Meta Canada, Marc Dinsdale, rend ces menaces explicites :

Devant une législation défavorable […], il est [possible] que nous soyons forcés de reconsidérer l’autorisation du partage de contenu de nouvelles au Canada.

Examinons les arguments de Meta Canada pour s’opposer à C-18 et demandons-nous si ses menaces peuvent être prises au sérieux.

Argument 1 : Meta fournit du marketing gratuit aux médias

Meta prétendait en mai avoir envoyé 1,9 milliard de clics vers les sites web des entreprises de presse canadiennes au cours des douze mois précédents. Cela signifie que si les médias du pays avaient acheté des pubs sur Facebook pour obtenir cet achaladage, ils auraient dû débourser 230 millions $CAD. Comment Meta arrive-t-elle à ces chiffres ? Mystère. Aucune précision méthodologique n’accompagne ces estimations. Il faut croire l’entreprise sur parole.

Il faut bien sûr reconnaître que les médias tirent des avantages de leur présence dans Facebook et dans Instagram, sinon ils seraient absents de ces plates-formes. Selon le Digital News Report 2022, 40 % des Canadiens qui utilisent Facebook le font pour s’informer. Sans les réseaux sociaux, de nos jours, une grande partie des Canadiens se verraient coupés d’une source d’information. Cela suscite sans doute de l’achalandage sur les sites web des médias. Mais cet achalandage est de moins en moins monétisable pour les médias tant le marché de la pub numérique est dominé (à 80 %) par Alphabet (Google) et Meta.

Le siège social de Meta, en Californie.
(Shutterstock)

Argument 2 : Meta fait très peu d’argent avec l’information

Meta prétend également que « le contenu de nouvelles […] n’est pas une source importante de revenus pour notre entreprise ». Pour un réseau social qui tire 95 % de ses revenus grâce à l’attention suscitée par les contenus qu’on y trouve, cette affirmation est insultante.

J’ai estimé, ces dernières années, méthodologie détaillée à l’appui, que Meta réalisait, bon an, mal an, environ 200 millions $CAD de chiffre d’affaires grâce aux contenus journalistiques canadiens. Mon estimation est imparfaite, je suis le premier à l’admettre. Mais elle est la moins mauvaise à laquelle il soit possible de parvenir avec les données auxquelles la multinationale nous permet d’accéder.

Soyons bons princes. Acceptons cette autre affirmation de Meta :

Les publications contenant des liens vers des articles de nouvelles représentent moins de 3 % de ce que les gens voient dans leur fil d’actualité Facebook.

D’accord. Seulement au Canada, Meta a réalisé un chiffre d’affaires de 1 826 milliard $CAD au cours des six premiers mois de 2022. Trois pour cent de cette somme équivaut à 55 millions $. Voilà alors le montant qui aurait dû être reversé aux entreprises de presse canadiennes jusqu’à maintenant, cette année, si Meta avait adéquatement partagé ses revenus avec les créateurs de contenus journalistiques. On est loin des 18 millions $ que Meta a investi dans le journalisme canadien depuis 2018.

Argument 3 : Pourquoi seulement Google et nous ?

Ici, Meta pose une bonne question. Le projet de loi C-18, et la loi australienne dont il s’inspire, reposent tous deux sur le postulat que le marché de la publicité numérique serait une chasse gardée des médias d’information et aurait ainsi été chapardé par les deux géants du web. J’ai déjà écrit que…

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Auteur: Jean-Hugues Roy, Professeur, École des médias, Université du Québec à Montréal (UQAM)