Gustave Caillebotte. « Rue de Paris, temps de pluie », 1877.
Étrange modernité que celle de Gustave Caillebotte. Le regard du peintre (1848-1894 ) est irrésistiblement attiré par le spectacle des rues de Paris, par les scènes de la vie contemporaine. Comme les impressionnistes, il présente au spectateur les réalisations urbaines les plus audacieuses : les structures métalliques du pont de l’Europe, les larges boulevards récemment tracés par le baron Haussmann, les « beaux quartiers » enfin, qui sont un motif récurrent dans les années 1876-1882. S’enivrait-il de l’opération entreprise par le préfet de police de Napoléon III, qui visait à refaire la toilette de la ville des lumières ?
Mais en fait, l’activisme urbain, l’emblème indiscutable de la modernité dans le dernier quart du siècle, est étrangement absent de ses toiles.
Soit Rue de Paris, temps de pluie, 1877, une toile aux dimensions exceptionnelles (212 x 276 cm). Un large carrefour où se croisent la rue de Turin et la rue de Moscou. Une lumière grise, qui se reflète dans des pavés mouillés. Un couple, grandeur nature, se dirige sur le spectateur, d’un mouvement si déterminé que celui-ci aurait presque tendance à reculer. Des personnages isolés déambulent comme des automates. Un espace démesurément large, tel que l’œil ne pourrait le saisir que dans l’objectif grand angle d’un appareil photographique, crée une sensation de vacuité et de vide psychologique. Le regard erre sans pouvoir se fixer de façon définitive. L’étrangeté explicite de cette image s’explique par la tension entre la chorégraphie absurde du ballet des personnages et l’ordonnancement géométrique de la composition.
La ville de Caillebotte n’est pas un espace saturé de communications mais un espace vide où évoluent des inconnus étrangers les uns aux autres. La précision du rendu est presque celle d’une composition abstraite….
Auteur: Itzhak Goldberg