Calcul haute performance et ordinateurs superpuissants : la course à l’« exascale »

Le 27 mai 2022, la communauté HPC (high performance computing) annonce en grande pompe l’arrivée du premier supercalculateur « exascale », c’est-à-dire capable de réaliser 1018 « FLOPS », soit un milliard de milliards d’opérations par seconde (sur des nombres réels en notation flottante, pour être précis).

Le nouveau supercalculateur, Frontier, qui est opéré par le département américain à l’énergie au Oak Ridge National Laboratory dans le Tennessee avec plusieurs millions de cœurs supplante le supercalculateur japonais Fugaku qui rétrograde à la seconde position du classement TOP500 des machines les plus puissantes.

Frontier, non content d’être (pour l’instant) l’ordinateur le plus puissant du monde, est également bien classé en termes d’efficacité énergétique… du moins par rapport à sa puissance car il consomme d’énormes quantités d’énergie, l’équivalent d’une ville de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Et le problème ne s’arrête pas à Frontier, puisqu’il n’est que le navire amiral de la florissante flotte mondiale de plusieurs milliers de supercalculateurs.

Un affrontement à distance

Ce retour des Américains en tête de la course met en lumière un nouveau terrain d’affrontement entre les superpuissances étatsunienne et chinoise, que les Européens observent en embuscade. En effet, la Chine avait créé la surprise en 2017 en ravissant la première place aux États-Unis : on assistait alors à une arrivée en masse avec plus de 200 supercalculateurs chinois dans le TOP500. Aujourd’hui, la première machine chinoise est reléguée à la sixième place et les Chinois ont choisi de faire sortir leurs machines de ce classement.

En 2008, le supercalculateur Roadrunner du Los Alamos National Lab américain est le premier à atteindre le « PetaFlops », soit un million de milliards de FLOPS (1015). L’exascale devient un objectif stratégique pour les Américains, alors même que ce but semble techniquement inatteignable.



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Pour parvenir à l’exascale, il a fallu repenser l’architecture de la génération PetaFlops précédente. Par exemple, à ces échelles extrêmes, la question de la fiabilité des millions de composants devient cruciale. Comme un grain de sable bloque un engrenage, la faillite d’un élément empêche la machine complète de fonctionner.

Le « mur de l’énergie »

Mais le département de l’énergie américain (US DoE) a ajouté une contrainte à ce développement technologique en imposant une puissance maximale de 20 Mégawatts pour déployer l’exascale – contrainte appelée « mur de l’énergie ». L’initiative américaine Exascale computing a été financée à plus d’un milliard de dollars en 2016.

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Pour passer ce « mur de l’énergie », il a fallu repenser l’ensemble des couches logicielles (du système d’exploitation aux applications) et concevoir de nouveaux algorithmes pour gérer les ressources de calcul hétérogènes, c’est-à-dire les processeurs standard et accélérateurs, les hiérarchies mémoire, les interconnexions notamment.

Au final, la consommation électrique de Frontier est mesurée à 21,1 Mégawatts, soit 52,23 Gigaflops par Watt, ce qui correspond en gros à 150 tonnes d’émissions de CO2 par jour en tenant compte du mix énergétique du Tennessee, lieu d’implantation de la plate-forme. C’est juste en dessous de la limite du mur des 20 Mégawatts fixé dans l’objectif de la DoE (si l’on ramène les 21,1 Mégawatts du 1,102 exaflop de Frontier, on arrive à 19,15 Mégawatts).

Ceci place Frontier au second rang du Top Green500 des supercalculateurs qui consomment le moins d’opérations (Flops) par Watt – ce classement a été lancé en 2013 et note la naissance des préoccupations de la communauté pour les questions énergétiques. Cette place au Top Green500 est une bonne nouvelle : le gain en performance de Frontier s’accompagne également d’un gain en consommation énergétique.

Des estimations trop optimistes

Mais ces estimations de consommation énergétique du numérique sont sous-estimées, comme souvent en la…

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Auteur: Denis Trystram, Professeur des universités en informatique, Université Grenoble Alpes (UGA)