Cap au pire

Auguste Rodin. — « La Porte de l’Enfer », 1880-1917 (version en bronze).

Il y a deux manières de tenter, littéralement, de reprendre ses esprits, c’est-à-dire de se remettre à penser, après des atrocités comme le meurtre de Samuel Paty ou l’attentat de Nice. La première interroge le faisceau des causes. En veillant d’abord à ne pas oublier la cause de premier rang : une force théologico-politique violente, stratégique, déterminée à poursuivre un agenda conquérant (peut-être même pourrait-on dire impérialiste) imbibe des désaxés de rencontre, ou arme des fanatiques prêts à tout. Mais en prenant tout autant garde de ne pas nous en tenir à ça, et de nous demander également quelle part nous avons, ou plutôt nos gouvernants ont, de longue date, prise à la fabrication de notre malheur. La seconde reprise d’esprit tâche de réfléchir ce que nous sommes en train de faire sous le coup de ces abominations. Et dans quoi, croyant y répondre, nous sommes en train de nous jeter.

Lire aussi Serge Halimi, « Attentats terroristes : la machine infernale », Le Monde diplomatique, novembre 2020.

Nous étions déjà bien engagés dans le sas, mais le choc terroriste semble nous y précipiter irrésistiblement. Le sas vers quoi ? Le sas vers le fascisme. Nous n’y sommes pas encore, mais tout nous y pousse, à commencer par ceux qui ont été mis là supposément pour nous en prémunir — c’était l’époque du barrage. L’ennui cependant, avec « fascisme », c’est d’abord que, comme par une sorte de loi de Gresham, les mauvais usages ont chassé les bons. Ensuite qu’on n’en a que des concepts incertains, semble-t-il mal taillés pour l’époque.

Voir venir – mais quoi ?

De Gaulle était « fasciste », Giscard était « fasciste », Chirac était « fasciste » – il est certain que la catégorie y a perdu une bonne partie de son tranchant. No pasaran, ça donnait une…

Auteur: Frédéric Lordon
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