Ce que la migration au Qatar signifie pour les travailleurs népalais

Alors que la Coupe du Monde de football se rapproche, le portrait du Qatar peint dans les médias est peu reluisant : 6500 morts pour la construction des infrastructures relatives à ladite Coupe, des traitements inhumains sur les lieux de travail et dans les logements, des travailleurs expulsés du pays après avoir demandé à être payés, une incapacité à réformer le code du travail, etc. L’attention des médias envers les violations des droits de l’homme au Qatar est plus forte que jamais.

L’image du pays est donc largement écornée et celle des travailleurs migrants, qui constituent plus de 95 % des actifs dans l’émirat, plutôt figée. Les migrants au Qatar sont en effet décrits d’une manière simplificatrice comme étant des victimes : de l’incurie de leur classe politique dans leur pays d’appartenance, de la malhonnêteté des intermédiaires de la migration et du laxisme du Qatar, qui peine à contrôler les entreprises véreuses et semble se moquer du sort des 1,5 million d’étrangers employés comme ouvriers.

Si le constat d’un manque de considération des travailleurs de la part des autorités qataries est vrai, il n’explique pourtant pas pourquoi des centaines de milliers d’hommes et de femmes ont afflué au Qatar depuis les années 1990 et continuent à vouloir s’y rendre. Seraient-ils à ce point aveugles ou désespérés pour se ruer vers l’abattoir ?

Des décisions réfléchies et une forte culture migratoire

Derrière l’image du migrant comme victime se trouvent des femmes et des hommes qui prennent des décisions réfléchies engageant l’avenir de leur foyer et leur responsabilité. Ces initiatives font porter le poids du futur des ménages sur les migrants individuels, dont l’agentivité, autrement dit, « la capacité d’agir et de prendre des décisions » (agency), est une réalité qui ne peut être éludée, bien que celle-ci s’exerce sous contraintes et dans le cadre d’une information non transparente.

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L’exemple du Népal est particulièrement intéressant, car il fait partie des pays les moins avancés, selon le classement de l’ONU, dont l’intégration au marché mondial du travail s’est accélérée depuis les années 2000. Celle-ci a été permise par l’existence d’une ancienne culture de la migration : depuis plus d’un siècle, en effet, une grande partie des paysans népalais vont travailler quelques mois par an en Inde durant les temps morts agricoles. La libéralisation de l’accès aux passeports et l’ouverture des pays du Golfe à partir des années 1990 ont permis une diversification des flux migratoires à partir du pays. Ainsi, au Népal, l’un des principaux pays de départ de migrants vers le Qatar, cette migration de travail est devenue aujourd’hui indispensable : l’ensemble des remises migratoires représente environ 30 % du PIB du pays.

Dans ce panorama migratoire, le Qatar est une destination phare. En 2019 et 2020, plus de 50 000 Népalais y sont arrivés pour la première fois ou retournés après des vacances dans leur pays. Après l’arrêt brutal des flux à cause de la pandémie, les expatriations ont repris de plus belle. Les huit premiers mois de 2022 ont vu l’arrivée ou le retour au Qatar de 15 000 Népalais par mois : aujourd’hui, 400 000 Népalais y résideraient de manière provisoire (le conditionnel est de mise, car aucun chiffre officiel n’est disponible). Quand on a en tête l’image dégradée du Qatar, la perpétuation des flux pose donc question. Comment expliquer que malgré l’expérience de leurs congénères, les flux ne se sont pas taris mais ont augmenté de manière continue ?

Une possible ascension sociale

Ce qui a tout d’abord attiré les Népalais au Qatar, c’est la possibilité d’y travailler pour des salaires trois à quatre fois plus élevés qu’au Népal et qu’en Inde, pour des périodes plus longues. Le Qatar représente ainsi une opportunité pour les familles d’envisager l’avenir avec plus de sérénité grâce à une possible ascension sociale et de vivre une vie différente de celle des générations précédentes.

Nripesh Basyal a monté une entreprise de transport au Népal après treize années au Qatar, grâce à…

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Auteur: Tristan Bruslé, Chercheur en géographie, spécialiste des migrations., École des hautes études en sciences sociales (EHESS)