Ce que les différences de féminités et de masculinités disent du genre

Dans la vie quotidienne comme dans les enquêtes statistiques, le genre renvoie le plus souvent à une séparation des individus en deux groupes, celui des femmes et des hommes. Cette approche binaire a ses limites : des personnes non binaires ne s’identifient ni comme homme, ni comme femme, le genre des personnes trans ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance.

Plus généralement, les individus peuvent se sentir plus ou moins féminins, plus ou moins masculins : il existe ainsi des variations de genre internes au groupe de sexe. Celles-ci sont des pratiques et des perceptions de soi-même et d’autrui qui ne remettent pas nécessairement en question la bipartition des sexes, mais qui montrent que l’expérience du genre a plusieurs dimensions. De plus en plus d’enquêtes statistiques tentent de saisir les variations du genre, en particulier sous la forme d’échelles de masculinité et de féminité. C’est le cas de l’enquête Virage qui a interrogé en France un échantillon de plus de 27 000 personnes représentatives de la population âgée de 20 à 69 ans en 2015.

La question suivante a été posée aux femmes :

« On attend généralement des femmes qu’elles se comportent de façon féminine. Vous-même vous diriez vous : très féminine / plutôt féminine / pas très féminine / un peu masculine / très masculine / ne souhaite pas répondre / ne sais pas. »

Pour les hommes, elle était formulée ainsi :

« On attend généralement des hommes qu’ils se comportent de façon masculine. Vous-même vous diriez vous : très masculin / plutôt masculin / pas très masculin / un peu féminin / très féminin / ne souhaite pas répondre / ne sais pas. »

Les catégories repoussoir varient selon le sexe

La majorité des femmes se disent plutôt féminines et la majorité des hommes plutôt masculins. On enregistre sans doute ici le sentiment d’être « normal » du point de vue du genre : être une femme conduit le plus souvent à se dire féminine, ni trop, ni pas assez. Peu de femmes et d’hommes affirment un genre opposé à leur sexe : « un peu » et « très féminin » pour les hommes, « un peu » et « très masculine » pour les femmes sont des catégories repoussoir pour la majeure partie des individus.

Pour autant, les positionnements de genre ne s’organisent pas de la même manière selon le sexe : un tiers des hommes se disent très masculins, alors que moins d’un quart des femmes se disent très féminines ; un peu plus de 9 % des femmes se disent « pas très féminines », alors que seuls 2 % des hommes se disent « pas très masculins ».

Positionnement de genre selon le sexe.
Mathieu Trachman, 2022, Population et Sociétés n° 605,« Très masculin, pas très féminine. Les variations sociales du genre»

Ce résultat peut être interprété à la lumière des valeurs que les personnes attribuent à la féminité et à la masculinité. Les variations du genre selon le sexe reflètent sans aucun doute une dévalorisation du féminin par rapport au masculin : les hommes s’identifient plus volontiers à une catégorie socialement valorisée, les femmes prennent leur distance vis-à-vis d’une catégorie discréditée.

Ces variations du genre peuvent également être l’indice d’une distanciation féminine par rapport à des normes de genre jugées illégitimes ou trop contraignantes : celles qui concernent le corps, la tenue vestimentaire, les modes de vie conjugaux ou sexuels par exemple.

Chez les hommes comme les femmes, il peut s’agir de la reconnaissance d’un écart par rapport à une norme désirée ou l’expression d’un rapport conflictuel à une norme imposée. Pour saisir les significations sociales des variations de genre, il est possible d’analyser quels hommes se disent peu ou très masculins, quelles femmes peu ou très féminines.

Sous le genre, la classe ?

Le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle font nettement varier les positionnements de genre chez les hommes. Plus les hommes sont diplômés, moins ils ont tendance à se dire très masculins : certains se disent « pas très masculins », mais ils tendent à se reporter vers la catégorie « plutôt masculin ». Les catégories socioprofessionnelles reflètent pour une part cette tendance :…

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Auteur: Mathieu Trachman, Chargé de recherche, Institut National d’Études Démographiques (INED)