ces heures là

Il vaut mieux, donc, que tu te taises.
Si tu avais dit « demain »,
tu aurais menti.
La nuit ne te cache pas.
Yannis Ritsos, SECONDES

ne nous abandonnez pas, m’a-t-il dit
ne les abandonnez pas
il était sans voix, il criait pourtant, il hurlait
je ne sais plus pourquoi je l’avais appelé cette nuit-là
pourquoi je ne lui avais pas plutôt envoyé un énième message
peut-être que je voulais l’épargner, éviter les comment tiens-tu ?
comment tenez-vous ? comment faites-vous ?
j’avais fermé les yeux, je les ferme souvent ces derniers temps
il me faut préciser qu’il vit en deçà du Jourdain,
dans les environs d’une autre ville sainte, là où dit-on est né un prophète
que la seule mer qu’il voit désormais, à bonne distance, est morte
qu’il n’a jamais été à Gaza, ni même dans le désert du Néguev
qu’il n’a jamais pu, refoulé plus d’une fois
qu’il ne se souvient plus de la dernière fois qu’il a vu de près l’occupant,
autrement qu’armé, en uniforme, en colon, ou encore en geôlier
et il ne savait plus si ces jeunes femmes et ces jeunes hommes en patrouille
voyaient encore quoi que ce soit une fois le mur franchi,
ne sachant plus s’il était question d’évincer, de purger ou d’asservir
mais cette nuit-là, lui-même ne voyait plus rien
il avait cessé de crier, seul le sifflement irrégulier de sa respiration me parvenait
je regardais son nom et son numéro s’afficher sur mon appareil
en médaillon, la photo d’une main, paume ouverte, de face
était-ce sa main droite ? la ligne de destin était particulièrement longue
elle coupait les lignes d’intuition, de tête, de cœur, de Vénus
mon regard s’était surtout fixé juste en-dessous
sur ce +970, l’indicatif du territoire palestinien
state of Palestine, indiquent certains sites
et à chaque fois que je compose ce numéro,
que je reçois un appel de ce territoire
invariablement mes doigts marquent un temps
je crois…

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Auteur: dev