« C'est quand on y est soi-même confronté qu'on découvre la gravité de l'entreprise de démolition du droit »

Le droit du travail est une matière vivante, lieu de tous les antagonismes sociaux et politiques. Accusé par le patronat, ses experts et de nombreux éditorialistes d’entraver les petites entreprises et de ruiner la compétitivité des grandes, il est devenu presque impossible aujourd’hui d’évoquer ses vertus – protéger les salariés, lutter contre la concurrence déloyale. Suranné, trop contraignant, il serait responsable de l’assèchement du marché du travail et sa « réforme », urgente, pourrait seule remédier au chômage et à la crise économique.

Aux sophismes des « réformateurs » répondent des actes. La réalité de l’emploi change, et se dégrade. Depuis le début des années 1990, on assiste à la montée en puissance des contrats précaires (CDD, intérim), qui menace la stabilité des droits et limite la possibilité, pour les jeunes, de s’autonomiser. En 2019, 87 % des embauches se sont faites en CDD et, même si le CDI reste la norme (75 %), on ne peut qu’observer la part grandissante des contrats précaires (12 %). Le micro-entrepreneuriat, lui aussi, progresse à marche forcée. Il a battu des records en 2019, avec une hausse de 25 % des inscriptions. Dernier grand changement : l’essor des plateformes. Souvent filiales de sociétés étrangères, exonérées du paiement de l’impôt grâce à la mansuétude de nos gouvernements, elles organisent un faux travail indépendant. Nonobstant quelques réjouissantes décisions de requalification dans plusieurs pays européens, c’est un désastre pour des milliers de vies humaines, vouées à une activité de tâcheron. Partout, on lève des armées d’esclaves qui besognent nuit et jour avec leurs propres outils, sans assurance sociale digne de ce nom, sans salaire minimum, sans plage de repos, sans représentation collective, bref dans une solitude totale et une précarité insupportable.

Une révolution est en marche : le désarmement des travailleurs

Ceux qui vantent la « liberté » contre les « carcans » du droit n’entendent ni « libérer le travail » ni le « réformer », mais priver de protection des hommes et femmes et les placer dans un état de subordination et de dépendance économique. Ce mouvement de fond, amorcé en Occident avec l’élection de Margaret Thatcher, s’est accéléré, en France, au cours des mandats de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Comme il n’était pas possible de dégrader un système de droits centenaire en un clin d’œil (le niveau de protection en France était…

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Auteur: Rachel Saada