C'est un dialogue pris en cours

B : Je n’ai pas bougé, je suis toujours là.
Les autres aussi, mais je ne les entends pas, moi non plus.

A : Où sont les autres.
Ce n’est pas une question, c’est une affirmation.

B : Oui. Où sont les autres qu’on n’entend pas.

A : J’entends, pourtant, les sirènes de police, les chiens qui aboient.

B : Moi j’entends des groupes. Des groupes d’adolescents à la sortie de l’école.
Il est 16h, 17h. C’est assez lointain comme bruit. Ils vont dans un mouvement brouillon, avant-arrière, avec leur gros sac sur le dos.

A : Je les entends moi aussi. Ils roulent ensemble on dirait, par groupes, par grappes d’amis. Ils ont failli nous faire tomber à l’instant.

B : Oui c’est ça. Mais c’est une image nostalgique, non ?

A : Si tu veux. Une image sonore, nostalgique, de sortie d’école.

B : Pendant ce temps, la nuit tombe.

A : Et ils ne sont pas encore rentrés.
Le problème des images c’est qu’elles sont nostalgiques, facilement. Je pense au problème de la nostalgie.

B : N’y pense pas trop.

A : Quand je dis Où sont les autres, même de façon affirmative, j’appelle des souvenirs.

B : Tu appelles un souvenir… Non, tu appelles des gens.
C’est pas un souvenir, les gens.
Tu appelles un souvenir, peut-être, pour appeler des gens.

A : Un souvenir, un souvenir d’enfance, tu penses que ça n’est pas politique ?

B : Ça peut être un bon début, mais on ne peut pas s’en tenir là.

A : Par exemple : une manifestation. Si j’ai en moi un souvenir fort de manifestation, est-ce que ça me rend capable de mobiliser de nouvelles forces, d’appeler les gens pour faire encore la manifestation ?

B : Oui, ça peut, forcément.
Mais ça peut faire aussi que tu écris des phrases, et puis c’est tout.
Des phrases de souvenir de manifestation. Ça ne va pas très loin.

A : Si je reviens en arrière : la question que je me pose, c’est : est-ce que je suis capable d’abandonner un mouvement ? et si oui : lequel ?

B : La question se pose en effet. Dans certains cas où les conditions de l’entente ne sont pas réunies, il faut abandonner un mouvement.

A : C’est comme un souvenir alors, que tu abandonnes.

B : Le souvenir, tu n’es pas obligé de l’abandonner, mais il ne doit pas aveugler ton jugement, et le constat que tu fais, de ces gens avec qui tu ne peux pas t’entendre.Tu t’entends pas avec tout le monde ?

A : Non

B : Bon, bah voilà. Il y a des gens avec qui ta révolte prendrait une mauvaise direction.
Tu peux pas faire la route avec eux, c’est tout.

A : Ça…

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Auteur: lundimatin