Cette époque où l'on détestait la plage

Chaque été, des millions de vacanciers affluent sur les plages françaises. Le littoral serait même la « première destination touristique » de l’hexagone. La mer — ses flots bleus et son sable fin — s’est imposée comme l’image d’Épinal du voyage estival. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. C’est ce que nous raconte Alain Corbin, dans un ouvrage à glisser dans sa valise.

Le territoire du vide est paru en 1988, mais il n’a pas pris une ride. À peine une risée. L’auteur, historien pionnier des sensibilités, nous y raconte l’émergence du « désir du rivage » en Occident. Car pendant longtemps, « une chape d’images répulsives » a éloigné nos ancêtres des côtes. Dans les sociétés européennes classiques, très pieuses, l’océan, « relique menaçante du déluge », apparaissait « comme l’instrument de la punition divine ».

La mer était longtemps imaginée comme un territoire rempli de monstres, comme dans cette carte de Sebastian Münster réalisée vers 1544. Domaine public

On craignait ses tempêtes, ses débordements, ses monstres abyssaux. Corbin raconte que les marins portugais du XVIᵉ siècle plongeaient des reliques dans les vagues. L’Apocalypse chrétienne vint s’ajouter à une défiance antique envers le rivage. Ulysse, Énée… tant de héros ballottés par les flots. Un rivage « hanté par l’irruption possible du monstre, par l’incursion brutale de l’étranger, décrit Corbin. Il [était] le lieu naturel de la violence inattendue. »

Mais dès le XVIIᵉ siècle, « un renversement s’inaugura qui allait autoriser un nouveau regard ». Les mystères de l’océan s’estompaient, grâce aux progrès de l’océanographie, notamment en Angleterre. En France, un groupe de poètes dits baroques, esquissaient dans leurs vers la joie que procurait le bord de mer.



Nul plaisir ne me peut toucher

Fors celuy de m’aller coucher

sur le gazon d’une falaise

où mon deuil se laissant charner

Me laisse rêver à mon aise

Sur la majesté de la mer


(Tristan)

En 1628, le poète Saint-Amant élit domicile sur la côte sauvage de Belle-Île (Morbihan). Lecture, écriture, pêche en barque, chasse au lapin sur le rivage, balade méditative. Le rivage émergea alors comme un lieu de retraite et de contemplation.

Au tournant du XVIIIᵉ siècle, un autre phénomène raviva l’intérêt des classes dominantes pour la mer. À cette époque, nombre de jeunes nobles et de bourgeois entreprirent des voyages, avec deux destinations favorites : la Hollande (oui…

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Auteur: Lorène Lavocat Reporterre