Cette nuit, à Cuba, un autre ami est parti. — Viktor DEDAJ

Il faisait nuit noire à la Havane. Comme souvent en cette période spéciale, l’électricité se faisait rare et son absence péniblement remarquer. Et il y a quelque chose de particulièrement imposant, pour ne pas dire solennel, lorsqu’une grande ville se recroqueville sur elle-même en attendant l’aube. On en arrivait presque à chuchoter entre nous pour ne pas troubler le silence ponctué par quelques rares aboiements. Et le silence d’une ville à l’arrêt n’est pas celui d’une campagne ou d’un désert. Ce silence là est un intrus. Comme une respiration trop longue au milieu d’un concert. On se retient d’applaudir, parce qu’on sait que ce n’est pas fini. Et on retient son souffle, parce qu’on sait que ce pays n’a pas dit son dernier mot.

C’est par une telle nuit que j’ai rencontré Ibrahim.

La maison est une bizarrerie architecturale. Elle a la forme d’un bateau – le rez-de-chaussée est la « coque », ponctuée de fenêtres-hublots, et le premier étage fait office de « pont » – et elle est posée comme un îlot au milieu de la chaussée. La rue se divise littéralement en deux pour la contourner, comme si la maison fendait le macadam.

Dans le salon à l’étage régnait une ambiance inhabituelle. La famille et les amis étaient tous ostensiblement regroupés dans la cuisine, éclairée à la bougie. Les quelques lueurs qui se déversaient dans la salon permettaient à peine de discerner ma future épouse en conversation feutrée avec un monsieur en tenue militaire. En me dirigeant naturellement vers eux, je me suis cogné à une armoire à glace qui avait surgi de nulle part et m’a demandé qui j’étais. Après avoir décliné, avec un léger agacement, mon identité, le gorille m’a entraîné gentiment mais fermement dans le coin opposé du salon et a commencé à me « poser des questions ». Combien de fois est-ce-que tu es venu à Cuba ? Quel est ton intérêt pour ce pays ? Comment as-tu rencontré cette femme ? Etc.

Pendant que je répondais du tac-au-tac, je jetais des coups d’oeil par dessus son épaule pour tenter de comprendre le conciliabule qui se déroulait à l’autre bout de la pièce. L’analyse de la situation m’échappait et ce type devant moi commençait à m’énerver. Il a finalement posé une main sur mon épaule en disant, « tu peux y aller » puis, s’adressant à l’invité mystère, « c’est bon ». Ce n’est que plus tard que j’ai appris que l’interrogatoire n’était qu’une pure formalité, car « on » savait déjà tout de moi,…

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Auteur: Viktor DEDAJ Le grand soir