Ceux qui brûlent

Hovnathan Avédikian remet inlassable sur le métier la pièce Europa qu’il a tirée de plusieurs textes du merveilleux Aziz Chouaki, dans une nouvelle version.

C’est épiphane. Comme le corps d’un acteur épouse étroitement le souffle, rythme, propos d’un poète joycien (c’est-à-dire sans limites). La langue d’Aziz Chouaki a l’amplitude d’une épopée sensuelle, charriant la tchatche des rues, fantasmes et surenchère, jeux de langue, présence amoureuse des lieux.

L’histoire est celle des harragas, « ceux-là qui brûlent ». Papiers d’identité, et peau du bout des doigts aux empreintes indiscrètes. Ils prennent la mer à Alger sur l’Ezperanza. « Cette même mer où, tour à tour, des Phéniciens, des Romains, des Arabes, des Turcs, des Français… Somptueux tissu d’hommes, tressant pénombre habile, en somme, le grand récit de la mer… » C’est l’histoire de comme on parle le partir dans la langue algéroise, de ce que font la langue et la mer tout ensemble, indistinctes, parce que « c’est dans le corail de sa voix, la mer, que tout ça se raconte ».

Le texte est un montage de dialogues, d’extraits de romans, d’une nouvelle. Trois états de la parole : une situation-cadre, d’un auteur mal embouché, d’abord, puis le conte des deux ados à peine pubères qui font l’école buissonnière, rêvant leur rêve d’Europe à voix conjuguées. L’Europe a dix-sept ans, les seins lourds, elle est blonde, et offrira dès l’arrivée tout ensemble l’amour, la volupté, un titre de séjour et les clés d’une décapotable. Nos adolescents embarquent sur l’Esperanza, une barque « faite pour vingt où l’on s’entasse à trente-deux ». Passage à la polyphonie. Ce n’est pas pourquoi ils partent, mais comment ils se racontent l’un l’autre, l’ingénieur, le taxi, la star locale, l’intellectuel, chacun son « pire-pareil ». Celui de Niamey, à propos du Niger : « Magouilleries, islamistes, dictatures, machettes sida, machettes misère, machettes militaires. Pire pareil. »

Il y a la puissance du texte, le flûtiste délicat, et l’acteur musical ;…

© Aminata Beye

Auteur : Coline Merlo
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