Charlotte Delbo, Hanna Lévy-Hass : Les camps, la communauté, le communisme

Il n’y a pas de politique véritable, au sens où « politique » renvoie à autre chose que la simple gestion du monde tel qu’il est, qui ne pose la question de la communauté : c’est-à-dire celle de la possibilité d’un vivre ensemble selon les principes de l’égalité et de la justice. Aristote le rappelait dans son Éthique à Nicomaque, en y ajoutant un troisième terme, celui de philia, qui désigne toutes les formes d’affection liant entre eux des êtres libres et égaux.

Pour Charlotte Delbo et Hanna Lévy-Hass, l’universalité concrète de cette communauté a porté un nom : celui de communisme.

Leur engagement dans la Résistance − en France et en Yougoslavie − s’est fait au nom du communisme, c’est-à-dire au nom d’une figure de la communauté que l’on pouvait opposer à celle incarnée par le nazisme. Que cette figure, dans sa version soviétique, se soit révélée mensongère et meurtrière ne doit pas faire oublier qu’elle a représenté, pour des millions de femmes et d’hommes en Europe, la seule réponse effective, pratique, à la question de savoir comment vaincre le nazisme. La Résistance, avant que l’idéologie stalinienne n’en fasse un élément central de sa propagande, a été vécue par de nombreux combattants comme une expérience « communiste », comme la preuve vivante qu’une communauté d’individus libres et égaux, liés par une philia, était possible. Dans un article paru en septembre 1944, Sartre a donné de cette expérience la formulation la plus juste :

« À ceux qui eurent une activité clandestine, les circonstances de leur lutte apportaient une expérience nouvelle : ils ne combattaient pas au grand jour, comme des soldats ; traqués dans la solitude, arrêtés dans la solitude, c’est dans le délaissement, dans le dénuement le plus complet qu’ils résistaient aux tortures […] Ce délaissement, cette solitude, ce risque énorme étaient les mêmes pour tous, pour les chefs et pour les hommes ; pour ceux qui portaient des messages dont ils ignoraient le sens comme pour ceux qui décidaient de toute la résistance, une sanction unique : l’emprisonnement, la déportation, la mort. Il n’est pas d’armée au monde où l’on trouve pareille égalité de risques pour le soldat et le généralissime. Et c’est pourquoi la Résistance fut une démocratie véritable : pour le soldat comme pour le chef, même danger, même responsabilité, même absolue liberté dans la discipline. Ainsi, dans l’ombre et dans le sang, la plus forte des…

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Auteur: lundimatin