Chroniques d'Ukraine #4

Habitué des zones de conflit, le chercheur français Romain Huët s’est rendu pendant un mois en Ukraine afin de documenter le vécu quotidien de la guerre, cette « expérience de l’écroulement du monde ». Nous publions cette semaine ses 4e et 5e Chroniques d’Ukraine et nous le retrouverons ce lundisoir pour reprendre la discussion entamée au lendemain du déclenchement de la guerre avec des chercheurs et des activistes s’étant rendus sur place.

Kharkiv, partie 1

L’histoire de Sergueï n’est pas strictement personnelle. Au contraire, elle concerne beaucoup de monde.

S’engager comme volontaire est toujours présenté non comme une délibération longuement mûrie mais plutôt comme une réaction naturelle imposée par la situation. Dans les mots des volontaires, se dresser face à un envahisseur qui « arrache vos terres et tue des populations entières » apparaît comme une évidence.

Cependant, le patriotisme n’est pas l’unique cause de la résistance. À cet instant, les corps sont traversés par une pulsion irréfléchie de défense face à une armée qui approche. Dans la durée, cette pulsion transforme existentiellement les hommes. Il est incontestable que la guerre n’est pas qu’une affaire d’idées. La vie ordinaire et ses innombrables empêchements ou devoirs pratiques n’ont plus de réalité.

Désormais, la vie se conduit dans le contexte chaotique de la guerre. Et il est remarquable de constater que l’on se trouve aisément une place et une utilité dans le monde. Au sein des centres de volontaires, la résistance est peu soucieuse des compétences ou expériences effectives de chacun. Elle est surtout attentive aux bonnes volontés. Ces volontaires vivent activement l’histoire qui agite le monde. Cette promesse d’expressivité de la vie est une des raisons pour lesquelles la guerre exerce sur certains un pouvoir d’attraction.

Une guerre qui donne du sens

À cette analyse, on peut opposer à raison nombre d’objections. Ce point de vue est dangereusement romantique. Il affirme que la guerre est une puissance individuelle et collective qui fait défaut dans la vie ordinaire en temps de paix. En forçant le trait, on pourrait même avancer qu’elle est utile, sinon nécessaire, car elle régénère la population. Par exemple, Georges Bataille ou Roger Caillois avançaient une explication proche. La guerre est l’occasion d’une « régénération de la société et de l’individu », en particulier parce qu’elle brise les routines, la vie régulière, la monotonie.

Pour Roger…

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Auteur: lundimatin