Chroniques d'Ukraine #6

Habitué des zones de conflit, le chercheur français Romain Huët s’est rendu pendant un mois en Ukraine afin de documenter le vécu quotidien de la guerre, cette « expérience de l’écroulement du monde ». Nous publions cette semaine ses 4e et 5e Chroniques d’Ukraine et nous le retrouverons ce lundisoir pour reprendre la discussion entamée au lendemain du déclenchement de la guerre avec des chercheurs et des activistes s’étant rendus sur place.

lundisoir dernier, Romain Huët discutait avec Perrine Poupain et Nolig de leurs retours d’Ukraine, l’émission est accessible ici. Elle fait suite à la discussion entamée au lendemain du déclenchement de la guerre.

Kharkiv, partie 3. Derniers jours d’avril 2022.

Depuis une semaine, je suis dans le QG du groupe de volontaires à Kharkiv, le Switch Bar. Demain, comme chaque jour, nous irons livrer des denrées alimentaires dans les quartiers Nord-Est de la ville. Cette zone jouxte le front et subit quotidiennement des dizaines de tirs de roquettes de la part de l’armée russe.

Il est 22h passé de quelques minutes. Je suis l’un des premiers à m’endormir dans le Shelter (l’abri), éreinté par ces journées d’observation. Vers 2h du matin, alors que je suis plongé dans un sommeil lourd, une dispute éclate dans le dortoir. Une voix forte et agressive semble demander des comptes. D’abord, je feins d’ignorer, puis je jette quelques regards dans la pièce. L’obscurité est totale si bien que je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il s’y passe. Il me semble entendre Bohdan, le responsable du groupe de volontaires, s’efforcer – sans succès – de calmer notre agité. Ça dure. À présent, des gens vont et viennent au milieu des couchettes. J’ai envie de hurler une insulte quelconque pour leur rappeler notre existence. Inutile, me dis-je, ils sont sans doute ivres.

Là, les lumières s’allument. J’ouvre péniblement les yeux. Stupeur. Je découvre une dizaine de types cagoulés et lourdement armés. Ils nous invectivent un à un et exigent que nous nous levions immédiatement. Je me dis que l’armée russe a pris la ville, que nous nous faisons arrêter. Pendant ces quelques secondes, mon cœur se serre dans ma poitrine. À cet instant, je ne sais pas trop quoi faire à part exécuter leurs ordres que je ne comprends pas. J’ai la mine incrédule, la bouche ouverte, les yeux ronds et un profond sentiment d’irréalité.

Je fixe ces hommes. Soulagement. Sur l’un des uniformes, j’aperçois l’insigne ukrainien. Ce que j’ai pris pour…

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Auteur: lundimatin