Comment avoir envie de préserver une nature dont on s’éloigne de plus en plus ?

Comment les jeunes générations, actuelles et futures, peuvent-elles faire preuve d’empathie et désirer préserver un monde naturel menacé par les activités humaines, quand ce monde disparaît de plus en plus vite et que ces adultes de demain le connaissent de moins en moins ?

Autrement dit : comment se sentir en lien avec d’autres êtres vivants ou milieux si nous ne les avons jamais côtoyés ?

Les rapports de l’IPBES documentent ce recul du vivant et nous alertent : aujourd’hui, 75 % de la surface des écosystèmes continentaux et 40 % des océans ont été fortement dégradés ; un million d’espèces sont menacées d’extinction à brève échéance.

Une expérience du non-humain qui s’amenuise

Dans un ouvrage très remarqué publié en 2005, Last Child in the Woods (traduit en français sous le titre Une enfance en liberté), le journaliste états-unien Richard Louv dressait le constat d’une jeunesse de plus en plus éloignée des espaces naturels et des activités de plein air.

« Notre société enseigne aux jeunes à éviter toute expérience directe avec la nature. »

Une situation qui n’épargne pas la France, comme l’ont souligné des travaux rendus publics en 2015, montrant que pendant les jours d’école, 39 % des enfants de 3 à 10 ans ne jouaient jamais en plein air et que seuls 50 % des enfants pratiquaient des jeux en plein air au moins 2 jours d’école par semaine. Un phénomène de « déconnexion » aux lourdes conséquences (obésité, troubles du déficit de l’attention…).

Une petite fille souffle sur une fleur de pissenlit

Les enfants comme les adultes passent de moins en moins de temps à l’extérieur.
Unsplash/Caroline Hernandez, CC BY

Dans son ouvrage, Richard Louv choisissait de mettre un nom sur ce phénomène, depuis fréquemment repris pour décrire un quotidien en voie d’artificialisation accélérée : le « trouble de déficit de nature ». Ce « trouble » ne désigne pas un diagnostic médical, mais un ensemble de symptômes, signes cliniques et conséquences, de la tendance de nos sociétés modernes à s’isoler toujours davantage dans une sphère qui éloigne, voire « éteint », l’expérience du monde non humain.

Il est important de rappeler ici que cet éloignement touche toutes les tranches d’âge.

Dans une étude publiée en décembre 2022, une équipe de l’Université de Leipzig a matérialisé cet éloignement en calculant la distance qui séparait les individus d’éléments naturels : selon leurs évaluations, cette distance a augmenté de 7 % ces vingt dernières années. Toujours selon leurs calculs, dans le monde, les individus vivraient en moyenne à 10 km environ d’une zone naturelle.

Aux sources du déficit de nature

Parmi les différentes causes avancées pour rendre compte de cette déconnexion, arrêtons-nous sur les trois principales.

Il y a d’abord le phénomène de l’artificialisation des sols, élément central dans la perte de biodiversité. Ce processus croît en France 3,7 fois plus vite que la population depuis 1981, réduisant d’autant l’expérience du monde naturel des individus.

Avec désormais 80 % de la population française vivant dans des « unités urbaines » (plus ou moins grandes), nous nous coupons toujours davantage du monde naturel et possiblement non domestiqué.

La perte et la fragmentation des habitats naturels sont reconnues comme le principal facteur de l’effondrement de la biodiversité.
Shutterstock

Vient ensuite la culture des peurs : nous avons « peur » et éprouvons même une aversion envers certains éléments de la nature.

Peur de la nuit, des animaux sauvages, des insectes, de toucher l’herbe, de marcher pieds nus, de se promener seul·e. Peur du visqueux, de l’humide, de ce qui est mort… Mais aussi détestation de la pluie, du froid, du vent, de tout élément naturel sur lequel nous n’avons pas prise.



Read more:
Cessez d’avoir peur des araignées, elles sont fascinantes… et bienveillantes !

Ce refoulement lie l’expérience de « nature » au sentiment de « danger ». Accompagnée d’un sentiment d’insécurité dans les zones urbaines, cette peur participe à surprotéger les enfants et à les contraindre à privilégier l’intérieur « sécurisé » au…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Romain Couillet, Professeur des universités, chercheur multi-disciplinaire, Université Grenoble Alpes (UGA)