Comment éduquer ses enfants contre la haine ? Les leçons de Spinoza

« Tant de mains usées, Tant de chaînes. Tant de dents brisées, Tant de haines ». Raymond Queneau, chanté par Guy Béart, semble avoir cerné le triste visage de notre époque. À tel point que le chef de l’État a cru devoir appeler avec force à ériger des « remparts » face à la haine. L’éducation ne pourrait-elle, ne devrait-elle pas, constituer le premier de ces remparts ? Mais peut-on vraiment, et comment, éduquer ses enfants contre la haine ?

Dans son Éthique, Spinoza définit la haine comme une tristesse accompagnée de l’idée d’une cause extérieure : « Haïr quelqu’un, c’est imaginer qu’il est cause de tristesse ». La tristesse est, avec la joie, et le désir, l’un des trois sentiments humains « primitifs ». Un sentiment est un état qui affecte le corps en modifiant (en augmentant, ou en diminuant) sa puissance d’agir. D’une façon générale, la joie augmente cette puissance d’action, et marque le passage à une plus grande perfection ; et la tristesse la diminue, ce qui conduit à une moindre perfection.



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La haine est ainsi une passion triste. En tant que telle, elle est « nécessairement mauvaise ». Elle pousse à « écarter » ou à « détruire » ce qui en fait l’objet. Il faut donc s’efforcer de la combattre. Mais le drame est que « les hommes sont par nature enclins à la haine ». Comment peut-il alors être possible de lutter contre une telle tendance « naturelle » ? L’éducation, en particulier, devrait-elle être, sur ce point, dénaturation ?

Tout l’effort de Spinoza est de montrer comment on peut accéder à une « bonne manière de vivre » en restant dans le cadre des possibilités offertes par la nature humaine. Mieux, en réalisant pleinement cette nature (qui, pour lui, est une partie de la nature divine). Car l’homme a, par nature, la capacité de vaincre la haine. Pour cela, trois grandes voies lui sont offertes.

Faire prévaloir la raison sur la passion

« L’homme est toujours nécessairement soumis aux passions ». Mais action et passion ont une même origine : « c’est une seule et même tendance qui nous fait dire que l’homme est actif ou passif ». Cette tendance devient passion quand elle est liée à des idées inadéquates ; et vertu quand elle est liée à des idées adéquates.

La passion n’est que privation de connaissance. Elle manifeste l’impuissance de l’esprit. Inversement, la puissance de l’esprit se manifeste dans la connaissance claire et distincte, dans l’acte même de comprendre.

La puissance de l’esprit se manifeste dans la connaissance claire et distincte, dans l’acte même de comprendre.
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Car la passion n’a pas le pouvoir d’effacer la raison. Au contraire, « tous les actes que nous faisons déterminés par un sentiment-passion, nous pouvons les faire déterminés sans lui, par la raison ». Par la connaissance, on acquiert du pouvoir sur les sentiments. En particulier, « un sentiment-passion cesse d’être une passion dès que nous en formons une idée claire et distincte ». C’est la raison – libératrice, source de joie – qui nous sauve de la passion – cause de servitude, synonyme de tristesse-. L’homme peut donc être, en effet, soumis aux passions ; mais aussi libéré de cette soumission.

Puisqu’« agir par vertu, c’est agir sous la conduite de la raison », le premier remède à des sentiments tels que la haine, réside dans leur « connaissance vraie ». Faire prévaloir la raison, c’est donc orienter toute l’éducation vers la mise en jeu de l’acte même de comprendre. Comprendre est « le bien que désire pour lui-même celui qui agit par vertu », et qu’il « désirera aussi pour tous les autres hommes ».

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Du point de vue éducatif, est bon tout ce qui conduit à comprendre ; mauvais, tout ce qui a pour effet d’empêcher de comprendre. « Mener l’intelligence jusqu’à la perfection, ce n’est rien d’autre que comprendre ». C’est pourquoi Il faut apprendre à l’enfant à être déterminé à agir « à partir de ce qu’il…

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Auteur: Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)