Comment le racisme et l’antisémitisme s’alimentent aujourd’hui

Ce texte est publié dans le cadre d’une série de séminaires organisés à l’initiative de la Plateforme internationale sur le racisme et l’antisémitisme. La première séance a pour titre : « Racisme et antisémitisme : l’universalisme dans la tempête », elle se déroule ce mercredi 9 novembre à Paris, à 18h30 au 54 boulevard Raspail.


Le racisme et la haine des juifs conjuguent constamment, mais sous des modalités changeantes, continuité et innovation. Les deux sont globaux, mais avec des spécificités nationales tenant à l’histoire, à la structure sociale ou à la culture politique de chaque pays. Jusqu’où faut-il les distinguer et quelle est leur réalité aujourd’hui ?

Une réponse élémentaire distingue deux perspectives, sociologique et historique. La haine des juifs, « la haine la plus longue » comme l’expliquait Robert Wistrich, remonte à l’Antiquité – je n’entre pas ici sur les débats d’historiens à propos d’un éventuel antijudaïsme antique. Unique, elle a été religieuse avant d’être raciale. Mais d’un point de vue sociologique, les mêmes outils permettent d’analyser les deux phénomènes, qui relèvent alors d’une même famille.

Une autre réponse, plus historique donc, passe par l’examen de l’action (raciste, antisémite), de la recherche sur cette action, et des modalités du combat antiraciste. Il arrive qu’un même acteur soit raciste et antisémite. Ou exclusivement l’un ou l’autre. Que la haine des juifs soit un étage supérieur du racisme, par exemple avec les suprémacistes blancs nord-américains. Ou encore que des Juifs fassent preuve de racisme, etc.

La fragmentation culturelle et sociale fabrique une grande diversité de possibles. Souvent, la recherche comme l’action antiraciste dissocient les deux registres. Encouragés par la tendance à l’hyperspécialisation de la recherche, les chercheurs et les laboratoires sont rarement à cheval sur les deux. Les études postcoloniales, dé-coloniales, ou consacrées à un groupe plus ou moins large, African-American studies, Jewish studies, etc., confortent l’image d’une dissociation.

Un racisme qui évolue

Depuis le mouvement des Noirs pour les droits civiques des années 1950-1960, et sans que les expressions classiques – coloniales, biologiques- aient disparu, le racisme peut sembler moins flagrant (« veiled »), logé dans des mécanismes échappant à la conscience des acteurs mais aussi systémique, institutionnel ou structurel. Il semble aussi différentialiste, culturel, tenant ses cibles pour inassimilables, incapables de rallier l’identité collective et ses « valeurs ».

Un portrait de Martin Luther King dans une rue de Washington DC.
Jewel Samad/AFP

Puis, jusqu’aux années 2000, le racisme était perçu, analysé et combattu comme émanant du groupe dominant. Les Blancs.

Mais des demandes identitaires, dans de nombreux pays, se sont cristallisées, et parfois essentialisées, autour notamment de l’islam ou de « la race », portées par des acteurs oscillant entre ouverture et fermeture, tentés alors dans les cas extrêmes par la guerre des races. L’idée d’une « pensée blanche » renvoie chez les uns à un projet de guerre anti-Blancs tournant au racisme, et chez d’autres encourage le Blanc à ne plus être « enfermé dans sa blancheur ».

À l’origine invention à prétention scientifique, la « race », sous influence américaine, devient une construction sociale – ce qui rend la notion acceptable. Des victimes l’intériorisent, en même temps qu’elles affichent des demandes de reconnaissance, religieuses, culturelles plus ou moins naturalisées, racialisées.

Au racisme culturel qui reproche à ses cibles de ne pas s’intégrer aux valeurs du groupe dominant, elles répondent en affichant les leurs. Dès lors, l’antiracisme se déchire entre universalisme et un relativisme qui finalement voit des « races » partout. Les dérives se démultiplient. Des intellectuels, des journalistes, des acteurs politiques s’en prennent à la cancel culture, au wokisme, à l’islamo-gauchisme en jetant le bébé avec l’eau du bain : les mobilisations antiracistes respectables, les excès et intolérances ; les études sérieuses, postcoloniales par exemple, et les idéologies délirantes.

L’antisémitisme et…

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Auteur: Michel Wieviorka, Sociologue, Auteurs historiques The Conversation France