Comment, pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée nationale exclut un député

L’incident survenu à l’Assemblée nationale (AN) jeudi 3 novembre, qui a entendu Grégoire de Fournas, député Rassemblement Nation (RN) tenir des propos à teneur insultante et raciste durant la prise de parole d’un autre député, Carlos Martens Bilongo, de la France Insoumise (LFI), a conduit à une suspension immédiate de séance et en urgence, à une réunion du bureau de l’AN. Celle-ci a décidé d’exclure pendant quinze jours l’auteur des propos.

La théorie constitutionnelle postule que les représentants de la Nation doivent pouvoir débattre librement afin de faire émerger l’intérêt général. Leur liberté de parole au sein des Assemblées ne saurait être réduite. L’article 26 al. 1 de la Constitution leur garantit ainsi une irresponsabilité absolue :

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »

Aucun des propos tenus à l’intérieur des assemblées – contrairement à des propos insultants tenus à l’extérieur, lors d’un meeting ou d’un entretien médiatique qui peuvent donner lieu à poursuite – ni aucun des votes émis ne peut, même après son mandat, engager la responsabilité du parlementaire devant un juge.

Il est ainsi admis que l’arène parlementaire n’est pas un lieu comme un autre, la parole devant y être la plus libre possible, ce qui justifie une réglementation spéciale de l’insulte au sein du Senat et de l’Assemblée nationale.

Une liberté de parole qui n’est pas absolue

Ainsi, en France, l’interdiction de l’injure, qui résulte de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, n’est pas applicable à l’intérieur des Assemblées. Les élus revendiquent d’ailleurs un droit à la vivacité des débats, qui ne doit pas laisser penser que leur liberté de parole serait absolue au sein des assemblées. Ses abus sont sanctionnés, les règlements des Assemblées confiant la police des débats à leurs Présidents. Ainsi, le président seul accorde et retire la parole, nul ne peut parler s’il n’y a pas été invité, et il peut également prononcer des sanctions contre les élus qui proféreraient des insultes. Ainsi l’article 70 du RAN dispose :

Peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée : […]● 2° Qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ;● 3° Qui a fait appel à la violence en séance publique ;● 4° Qui s’est rendu coupable d’outrages ou de provocations envers l’Assemblée ou son président ;● 5° Qui s’est rendu coupable d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le premier ministre, les membres du gouvernement et les Assemblées […]

Le député LFI Carlos Martens Bilongo a été interrompu par les propos à teneur raciste d’un député RN en session à l’Assemblée nationale le 3 novembre 2022.

Et l’article 71 établit l’échelle des sanctions :

Les peines disciplinaires applicables aux membres de l’Assemblée sont :● 1° Le rappel à l’ordre ;● 2° Le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ;● 3° La censure ;● 4° La censure avec exclusion temporaire.

Le président, appuyé par le Bureau, instance collégiale qui réunit autour du président, les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs, assurant ainsi la représentation de la pluralité des courants d’opinion à l’Assemblée, examine les faits et prononce la sanction ou la propose à l’Assemblée dans les cas les plus graves. Cette sanction ne doit pas être perçue comme une décision politique ; elle doit rester une mesure disciplinaire et impartiale, prononcée à l’encontre d’un parlementaire qui a abusé de sa liberté d’expression.

Une multiplication des abus

De tels abus se sont multipliés ces dernières années : propos où comportements sexistes à l’égard des députées : caquètements de poule en octobre 2013, bêlements de chèvre en août 2017, « poissonnière » en février 2021 ou refus de s’adresser à la présidente de séance en féminisant sa fonction en octobre 2014.

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Auteur: Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po Lille