Comment une démocratie peut s’auto-dissoudre : l’exemple de la Russie des années 1990

À la chute de l’URSS, en 1991, la Russie a atteint grâce aux réformes lancées par Mikhaïl Gorbatchev, arrivé au pouvoir six ans plus tôt, un niveau de démocratie qu’elle n’avait jamais connu dans son histoire. La population russe n’a alors plus qu’un souhait : voir le pays devenir une démocratie occidentale prospère.

C’est paradoxalement en cherchant à implanter cette démocratie occidentale que les élites russes libérales vont mettre en branle un processus qui aboutira à la transformation du pays en autocratie nationaliste. Comme d’autres, un officier du KGB nommé Vladimir Poutine saura s’associer à ce mouvement afin d’en tirer le meilleur parti.

L’évolution de la Russie des années 1990 nous montre l’essence du processus de dissolution idéologique qui voit une société se convertir à l’ultranationalisme comme dernier repère à la suite de l’effondrement, d’abord du communisme, puis du libéralisme.

Un avenir prometteur

Si la situation de la Russie à la suite de la chute de l’URSS était fort délicate avec d’importantes pénuries liées à une explosion des prix, elle n’en était pas moins prometteuse. Gorbatchev avait réussi à établir une vraie séparation des pouvoirs, fondement de toute démocratie.

La population russe était alors pleine d’optimisme. Sa capacité à briser le coup d’État d’août 1991 l’avait revigorée et persuadée que la démocratie était inévitable.

Il y a 30 ans, le coup d’État manqué à Moscou précipitait la chute de l’URSS, Euronews, 19 août 2021.

Le lien entre la mise en place d’institutions démocratiques et l’imminence d’une prospérité « à l’occidentale » ne faisait aucun doute pour les Russes. Seule ombre politique au tableau : le fort développement d’un nationalisme radical, qui était néanmoins contrebalancé par un mouvement libéral puissant. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1991, un sondage avait montré que 85 % des Russes se disaient favorables à une transition vers une économie de marché.

Un effondrement économique et politique

L’effondrement économique de la Russie qui a eu lieu entre 1992 et 1995 s’est soldé par une profonde désindustrialisation, une chute du niveau de vie et la perte de son intelligentsia. Cette dernière a émigré ou s’est reconvertie dans des emplois de subsistance. In fine, le pays a été réduit au rang de simple producteur de matières premières et de produits semi-finis.

L’effondrement politique, lui, va intervenir sur une période plus courte, pendant les deux premières années post-soviétiques, puis être confirmé lors de l’élection présidentielle de 1996.

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À la suite de ce processus, la Russie sera devenue, de façon paradoxale, un pays plus autoritaire que l’URSS de la fin des années 1980, un état où l’autonomie des individus aura considérablement régressé, que ce soit dans leur rapport à leurs employeurs ou aux institutions publiques. L’opportunisme de Vladimir Poutine, qui adoptera une posture nationaliste à la fin des années 1990, ne fera que confirmer les évolutions en cours.

Le début d’une transition inquiétante

Les premiers mois de la Russie post-soviétique furent une période de consensus libéral, même si le début d’une forte inflation fit des ravages considérables.

Mesurant la situation de la société et de l’économie russes, le Parlement – où les anciens communistes, quoique fort partagés, étaient majoritaires – s’opposa rapidement à la politique économique du président Boris Eltsine. Cette politique, dite de la « thérapie de choc », consistait à instaurer à grande vitesse une économie de marché inspirée de recettes libérales prônées par le FMI, sans tenir compte de la complexité des réalités socio-économiques de la Russie. Elle eut de lourdes conséquences sociales puisqu’elle détruisit la quasi-totalité de l’épargne de la population.

Marché aux puces à Rostov-sur-le-Don, 1992. De nombreux Russes ont dû se résoudre à vendre des vêtements et autres objets du quotidien pour pouvoir se nourrir.
Brian…

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Auteur: Eric Martel-Porchier, Enseignant chercheur, ICD Business School