Conjurer le réel

Conjurer le réel

A Munich, ainsi probablement que dans beaucoup d’autres endroits en Allemagne, lorsque la ville se couvre de neige, deux petits crochets aux murs des rues révèlent soudain leur utilité : on y installe une pancarte où l’on peut lire : « Vorsicht, Dachlawinen » – attention à la neige qui tombe des toits. A intervalles réguliers, les rues nous rappellent cela, que la neige tombe.

Ce qui pourrait être gentiment qualifié de prudence excessive prend un autre sens dans le contexte de la métropole. Il nous indique que la dissolution avancée des anciennes formes de la propriété privée, loin d’abolir le régime de la responsabilité qu’elles impliquaient, étend potentiellement cette responsabilité à la totalité de l’existant.

Pour un nombre croissant d’objets, nous ne possédons plus la chose en propre, mais l’assurance qu’une telle chose restera à notre disposition à travers la garantie des remplacements par une pièce plus ou moins équivalentes. Cela déplace la question du dommage vers celle de la responsabilité du dommage. Il est absolument réparable. Mais qui l’a causé ? De cela dépend le retour à neuf de la chose.

La vie peut donc être responsable sans pour autant être coupable. Sans avoir commis de faute, elle peut avoir causé un dommage ; sans que le propriétaire puisse intenter un procès, une assurance peut établir une responsabilité. En retour la vie elle-même s’assure systématiquement contre ces fautes menaçant partout de s’ouvrir.

La vie devient assurée ; et il est remarquable qu’avec les progrès des techniques médicales l’écart d’espérance de vie entre les riches et les pauvres est sans cesse davantage creusé par les interventions hors de prix que seule une assurance peut prendre en charge – la situation française nous empêche de percevoir nettement cet état de fait. Cela a toujours été vrai, mais apparaît en pleine lumière : une modalité de la propriété définit la vie non uniquement dans son avoir…

Auteur : lundimatin
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