Consommer « zéro déforestation » en Europe : la menace d’effets contre-productifs en Afrique centrale

Les consommateurs européens sont aujourd’hui responsables de 10 % de la déforestation mondiale via leurs importations de produits agricoles et forestiers.

Les principaux produits en cause sont le soja, le bœuf, le cacao, l’huile de palme, l’hévéa et le bois. Si l’Union européenne tente d’endiguer ce phénomène, cela ne sera pas sans conséquence dans les pays du Sud, comme ceux riverains du bassin du Congo.

Un règlement (trop ?) ambitieux

Un règlement européen est en cours d’élaboration pour empêcher la mise sur le marché de l’UE de produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts. Le futur règlement a fait l’objet de trois propositions par la Commission européenne, le Conseil de l’UE et le Parlement européen entre novembre 2021 et septembre 2022.

Le 6 décembre 2022, un accord préliminaire a été trouvé entre ces trois instances. Il stipule que les différents produits visés (soja, bœuf, cacao, huile de palme, hévéa et bois) ne pourront plus être importés au sein de l’UE s’ils proviennent de parcelles déboisées, même si les détails techniques restent encore à discuter dans les prochaines semaines. Ce règlement entrera en vigueur en 2023.

Le principal mécanisme envisagé par le règlement est celui de la « diligence raisonnée », qui sera imposée à tous les importateurs de produits agricoles et forestiers suspectés de contribuer à la déforestation ou à la dégradation des forêts.

Dans ce cadre, les opérateurs devront montrer qu’ils ont mis en place les procédures adéquates pour atténuer le risque de déforestation associé aux produits qu’ils veulent faire entrer sur le marché européen.

Pour faire simple, cela consiste à démontrer que le produit provient d’une parcelle géographiquement délimitée qui n’a pas fait l’objet de déforestation avant le 31 décembre 2020. Ces preuves de « non-déforestation » seront d’autant plus nombreuses à fournir que le produit proviendra d’un pays considéré comme à risque de déforestation, selon six critères indiqués dans le règlement. Ce sera manifestement le cas de la plupart des pays d’Afrique centrale.

Cette future réglementation européenne pose également de nouvelles contraintes aux producteurs du Sud : en imposant par exemple sa volonté d’un arrêt de toute forme de déforestation, en fournissant unilatéralement ses définitions des concepts clefs de « forêt », « dégradation forestière »… ou en exigeant une traçabilité des produits jusqu’à leurs parcelles de production.

La faible concertation avec les pays producteurs sur le contenu et le tempo de mise en œuvre de ce règlement fait craindre une application difficile sous les tropiques. En Afrique centrale, plus spécifiquement, deux phénomènes menacent le succès de la mise en œuvre du règlement européen : la concurrence avec les marchés asiatiques et les stratégies nationales de développement agricole.

Des exportations qui se détournent des marchés européens : le cas du bois d’œuvre

Même si le rôle de l’UE dans la déforestation globale reste non négligeable, son marché ne constitue pas – et de loin – le principal débouché des produits agricoles et forestiers qui ont généré de la déforestation. Si l’on s’en tient aux exportations, les marchés asiatiques détiennent une place prépondérante (pour le bois et l’huile de palme) ou grandissante (pour le cacao et le caoutchouc) dans le commerce de ces cultures de rente en provenance d’Afrique centrale.

Le meilleur exemple de la substitution progressive des marchés européens par des marchés asiatiques est donné par le secteur du bois d’œuvre.

Depuis une quinzaine d’années, les exportations de grumes et de sciages d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, RCA, RDC) varient annuellement entre 1,6 et 2,9 millions de mètres cubes. Depuis 2011, les pays asiatiques sont devenus la principale destination des bois exploités en Afrique centrale, au détriment des marchés européens qui sont en nette perte de vitesse sur la dernière décennie.

Graphique montrant les exportations de bois d’Afrique centrale entre 2008 et 2018

Évolution des exportations de grumes et de sciages en provenance d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, RCA, RDC) entre 2008 et 2018.
Données Cornifac, Author provided

Les nouvelles exigences du règlement européen, qui vont…

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Auteur: Guillaume Lescuyer, Docteur en socio-économie, Cirad