Conversation avec Guillaume Vogt : « Pour faire avancer la génétique, arrêtons de jeter les génomes après une seule analyse »

Intervenant aux Tribunes de la presse 2022 à Bordeaux, Guillaume Vogt, généticien à l’Inserm et docteur en génétique humaine (UMR Inserm 1283), explique comment un service français de test ADN, aujourd’hui interdit, pourrait voir le jour.

Pourquoi avons-nous besoin de chercher en permanence nos origines ? Existe-t-il un fantasme au sujet des tests ADN ?

Guillaume Vogt : Je ne crois pas que ce soit un fantasme. Il existe des gens qui désirent connaître leurs origines pour des raisons variées, comme découvrir ses parents biologiques, un apparenté ou encore connaître ses origines ethniques. Les passionnés de généalogie peuvent également être fascinés par le fait de pouvoir remonter plus de 200 ans en arrière, se découvrir des aînés jusqu’aux rois de France. Il existe cette possibilité de faire des tests ADN pour pas cher avec la certitude d’apprendre quelque chose.

Évidemment, certains tests sont de mauvaise qualité. Des erreurs sont toujours possibles, et les résultats peuvent varier en fonction des banques des données. Les résultats sur les origines ethniques sont relatifs car ils sont autodéclaratifs et dépendent de la représentativité des origines ethniques contenues dans les banques. Aujourd’hui, les clients sont majoritairement caucasiens et très peu africains, avec certains marqueurs génétiques peu ou pas représentés dans les banques de données, ce qui crée déjà un biais en soi.

Quelles sont les principales critiques que vous faites au système américain ?

G.V : Les tests ADN sont autorisés aux États-Unis et font l’objet d’un marché important incarné par les sociétés de biotechnologie MyHeritage et 23andme. En France, la revente de données génétiques est interdite. Malgré tout, ces sociétés livrent des kits en France, permettant à des citoyens de faire des tests ADN sans être inquiétés.

Or, d’un point de vue médical, ces tests proposés par le marché américain sont de très mauvaise qualité. Ils ne regardent que certaines variations génétiques et la multiplicité des conditions rend les tests salivaires peu fiables, même quand les variations sont très connues. Par exemple, cela peut devenir très grave quand il s’agit de déclarer à la personne testée si elle n’a pas de prédisposition au cancer, alors qu’en réalité elle en a une. La société 23andme ne détecte que cinq des mutations du cancer du sein les plus fréquentes alors qu’il en existe des centaines. Contrairement à la France, aux États-Unis comme dans n’importe quel autre pays, vous devez payer vos frais médicaux et cela crée des situations d’autant plus problématiques.

En revanche, les biobanques américaines autorisent la comparaison des données entre elles pour identifier des personnes, à partir du moment où le client donne son accord lors du test. En France, cette pratique est, à l’inverse, interdite, ce qui altère l’efficacité de la recherche.

Vous défendez la création d’un modèle à la française et avez développé e-CohortE, quels sont les enjeux d’un tel projet ?

G.V : e-CohortE est avant tout un protocole de recherche qui permet d’analyser le génome d’un individu à partir d’un questionnaire très dense. Cet individu va signer un formulaire de consentement, non plus pour une finalité précise et réduite à un seul objectif, mais autant de thématiques auxquelles il désirait répondre permettant le traitement de son génome entier en faveur d’une recherche plus large. À ce jour, comme la finalité est unique en France, nous n’avons pas le droit de rechercher une autre finalité sur le génome obtenu qui terminera donc à la poubelle, alors qu’il pourrait servir a d’autres chercheurs.

Pour faire avancer la génétique, il faut considérer que toute recherche est bonne et conserver les génomes au lieu de les jeter. Le projet e-CohortE vise à proposer à l’individu de recevoir régulièrement des questions de différents instituts pour faire avancer la recherche fondamentale en génétique. Si plusieurs individus passent du temps à répondre à des questionnaires divers et variés, cela aidera considérablement la science et permet de découvrir l’implication des gènes dans telle ou telle caractéristique humaine.

Ce projet est d’autant plus intéressant qu’il assure au médecin de conserver un lien avec son patient et de le recontacter pour d’autres études. Il…

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Auteur: Guillaume Vogt, Chercheur en génétique humaine, Inserm