Crise de Cuba d’octobre 1962 : quelles leçons stratégiques pour aujourd’hui ?

Il y a 60 ans, le 16 octobre 1962, la Central Intelligence Agency (CIA) présentait au président John Fitzgerald Kennedy des preuves photographiques que les soviétiques étaient en train d’installer secrètement des missiles balistiques à Cuba, une île située à 150 kilomètres seulement des États-Unis. Ainsi débutait une crise majeure durant laquelle le monde est passé très près d’une guerre nucléaire – et qui résonne fortement avec les menaces actuelles du président russe Vladimir Poutine dans le cadre de la guerre en Ukraine.

Sa gestion par Kennedy est devenue légendaire, et elle est habituellement présentée comme un triomphe pour l’agence de renseignement américaine. Le héros de la pièce est son avion-espion « U2 », une merveille technologique capable de voler deux fois plus haut qu’un avion de ligne et de prendre des photographies d’une grande précision.

L’histoire officielle est donc simple : les Soviétiques ont monté une attaque, et celle-ci a été brillamment contrée par la CIA grâce à sa technologie avancée.

Mais lorsqu’on examine les faits, une autre histoire émerge, celle d’une agence totalement prise par surprise. Le 19 septembre, la CIA écrit ainsi au président, à propos de l’accroissement d’activité observée sur l’île :

« Nous croyons que le renforcement militaire qui a débuté en juillet ne reflète pas une politique soviétique radicalement nouvelle envers Cuba. »

Nous sommes quatre jours après l’arrivée des premiers missiles sur l’île ! En outre, durant la période cruciale, la CIA ne fait pas voler l’U2, alors qu’elle sait qu’il s’y passe quelque chose d’inhabituel et que l’avion permettrait de le découvrir. Pourquoi ?

Photographies aériennes des sites de lancement de missiles balistiques de moyenne portée n°2 et 3 à San Cristobal, à Cuba.
US National Archives and Records Administration

Dans notre ouvrage Constructing Cassandra. Reframing Intelligence Failure at the CIA, 1947–2001 (Stanford University Press, paru en 2013 en anglais, non traduit), mon co-auteur Milo Jones et moi avons analysé cette surprise en détail pour expliquer cet aveuglement. Nos observations ont permis d’identifier une explication : la prégnance de « modèles mentaux » (qui ont fait l’objet de nos recherches quelques années plus tard), c’est-à-dire des certitudes souvent inconscientes qui nous empêchent de prendre les décisions nécessaires au moment opportun.

Un risque de vol élevé

En 1962, le monde est en crise depuis la construction du mur de Berlin. Par ailleurs, l’U2 est un avion « espion » ; il a mauvaise presse, y compris auprès des alliés des Américains, car il survole les territoires sans demander d’autorisation. En pleine crise…

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Auteur: Philippe Silberzahn, Professeur stratégie et organisation, EM Lyon