Critique de la raison gorafique

René Magritte. — « La clef des songes », 1930

De Agostini Editore / DEA / E LESSING

Qu’il n’y ait pas de malentendu : « critique » ne sera pas à comprendre au sens du jugement usuel (« ça, c’est mal »). Non, ici « critique » est à comprendre au sens de Kant, comme l’activité de la raison s’interrogeant elle-même, notamment dans l’exploration de ses conditions de possibilité. Posons d’emblée l’essentiel : le gorafique est un fait majeur de notre temps. Tout le monde le sent intuitivement. Mais en avons-nous pour autant le concept ? Au moins la philosophie d’aujourd’hui connaît-elle son apéritif catégorique : penser le gorafique.

À quoi reconnaît-on le gorafique ? À ce qu’il nous fait entrer dans une zone d’indistinction. Il y a du gorafique chaque fois que, confronté à une déclaration politique, on n’est plus en état de déterminer si elle est réelle ou grossièrement contrefaite à des fins d’épaisse caricature. Le gorafique est donc bien une histoire de réalité et de fiction, plus précisément de réalité désormais systématiquement en avance de la fiction. C’est donc aussi l’histoire d’un drame social, drame de la ruine d’une corporation, celle des scénaristes et des humoristes, à qui les normes de leur univers opposent spontanément, par réflexe méthodologique jusqu’ici bien fondé, un « Coco, là tu vois bien que c’est trop gros », aussitôt démenti – ou confirmé, comment faut-il dire ? – dans la réalité. Même les imaginations les plus débridées, même la créativité la plus échevelée ne peuvent plus suivre. On reconnaît le gorafique à ce que les amuseurs ordinaires sont à la ramasse. Mai 68 avait appelé à ce que l’imagination soit au pouvoir, l’y voilà. Du sommet de l’Etat tombent maintenant en cataracte des dadaïsmes d’une audace inconnue. Le Gorafi ne peut pas en faire l’aveu public, mais lui-même est à la peine.

Protocole expérimental

En tout cas nous accédons par-là à un protocole expérimental en vue d’identifier le gorafique en situation : un test, certes un peu paradoxal, puisqu’il réussit… si les cobayes échouent. On leur soumet à l’aveugle des énoncés en leur demandant à chaque fois si Gorafi ou réalité. Leur désorientation et leur incapacité à discriminer convenablement sont alors les indicateurs-types d’une atmosphère gorafique.

N’importe qui peut s’y essayer, on est à peu près sûr de perdre. Par exemple, G ou R ? :

  1. « Muriel Pénicaud : “Pour…

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Auteur: Frédéric Lordon