Dans la Creuse, des bûcherons turcs et marocains racontent une vie de labeur

Bourganeuf et Meymac (Creuse), reportage

Dans l’imaginaire collectif et les médias, le bûcheron n’est ni immigré ni racisé. L’histoire de l’industrie du bois en France est pourtant intrinsèquement liée à celle des migrations de travail. L’arrivée de bûcherons étrangers est le résultat d’une stratégie menée par l’État français, qui est allé recruter, dans les pays d’Europe du Sud, puis au Maroc et en Turquie, une main-d’œuvre considérée comme plus exploitable par des industriels en manque de bras.

Le caractère saisonnier et le mode de vie imposé par un métier qui s’exerce sur des chantiers dans des zones forestières reculées n’expliquent qu’en partie cette invisibilisation. Curieuses de mettre des visages sur ceux dont on entend les machines sans jamais les voir, nous sommes allées à la rencontre de bûcherons arrivés en France à partir des années 1970. Dans un café turc de Bourganeuf d’abord, puis dans les quartiers HLM de Meymac, deux petites villes de la Creuse situées sur les piémonts de la montagne limousine où certains vivent désormais avec leurs familles.

« C’est le patron français qui payait tout : voyage, nourriture, visites médicales »

En France, le nombre d’ouvriers immigrés employés dans l’exploitation forestière est passé d’environ 5 000 en 1960 à 15 000 en 1975. D’abord réalisés principalement en Italie, puis en Espagne et au Portugal, les recrutements se sont étendus jusqu’au Maroc et la Turquie à partir du milieu des années 1960, sous la houlette de l’Office national d’immigration. Des accords de main-d’œuvre se sont mis en place par la France avec ces pays, facilitant la possibilité pour les patrons forestiers d’aller chercher des travailleurs sélectionnés pour leurs capacités physiques. Dans le salon de son appartement à Meymac, Embareck, bûcheron marocain retraité, nous raconte comment il est arrivé en France, le 21 mai 1974.

« Comme les Français ne voulaient pas travailler dans la forêt, ils ont fait venir des étrangers. Les patrons français allaient à la préfecture et disaient “j’ai besoin de 50-60 ouvriers”, puis leurs intermédiaires se rendaient à Casablanca et ensuite dans les villages pour nous chercher. Soixante-dix personnes sont venues avec moi, elles vivaient dans les montagnes elles aussi. C’est le patron français qui payait tout : voyage, nourriture, visites médicales. Quand tu passais la première visite, les recruteurs regardaient tes mains pour voir si tu avais l’habitude de travailler…

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Auteur: Reporterre