Dans le secteur portuaire, des pénuries de cadres pénalisantes et surtout trop peu de dirigeantes

Au niveau mondial, comme local, on observe depuis plusieurs années un double phénomène, plutôt paradoxal, dans le secteur de la logistique. D’une part, il y a un appel d’air au niveau des cadres que les entreprises n’arrivent pas à combler. D’autre part, un nombre croissant de femmes formées à ces emplois continue à quitter rapidement le secteur, ou bien n’y progressent que beaucoup plus lentement que leurs camarades de promo masculins. Dans le domaine portuaire, les nominations l’an passé de Claire Merlin et Christine Rosso, respectivement à la tête des ports de Strasbourg et Toulon, font encore figure d’exceptions.

La logistique se trouve pourtant à un tournant de son évolution en devenant l’un des vecteurs principaux de la durabilité de notre économie. Le développement durable, rappelons-le, repose sur trois piliers, économique, environnemental et social, et la logistique recherche l’optimisation des flux sous leur contrainte : la gestion des flux doit être économiquement rentable, environnementalement viable et socialement acceptable.

Comme tant d’autres secteurs, la logistique a très longtemps été régie par le seul pilier économique avec pour seules contraintes, souvent marginales, celles imposées par le droit du travail. Ce fut ensuite au tour du pilier écologique de prendre de l’importance dans les choix des dirigeants. Réduction des émissions de CO2, de particules fines, projets de green ports, stratégie de report modal ou encore circuits courts et livraisons du dernier kilomètre en vélo-cargo sont autant de traces d’un développement d’une conscience écologique.

Le pilier social, quoique présent, reste le moins développé et souffre souvent de confusions, confiné souvent à des questions éthiques, de droit du travail et de sécurité au travail. Un des éléments les plus importants et qui constitue l’un des leviers de croissances majeurs du secteur reste pourtant la féminisation, en particulier dans les domaines portuaire et maritime.

Nos travaux récents ont ainsi tenté de mieux comprendre les trajectoires de celles qui ont su lever les barrières qu’elles rencontrent habituellement dans le secteur.

Dans un monde de « bonshommes »

Comme le dit notamment Niel Bellefontaine, directeur de l’Université Maritime Mondiale, institution onusienne :

« Une industrie qui transporte 90 % des marchandises mondiales a besoin d’au moins 90 % des meilleurs talents maritimes, bien qu’elle soit dominée par les hommes par tradition. L’industrie a besoin des meilleurs avocats, des meilleurs économistes, des meilleurs scientifiques, des meilleurs logisticiens, des meilleurs administrateurs, des meilleurs marins – et leur sexe n’a pas d’importance. »

Deux chercheuses, Nancy Nix et Dana Stiffler, ont identifié trois barrières à la progression des carrières des femmes le long des chaînes d’approvisionnement. En premier lieu, on retrouve des biais inconscients qui font que, du fait de l’histoire, de la culture, des règles tacites, on pense que la logistique est un « métier de bonhomme ». Dans la bande dessinée Les superhéros de la logistique, on ne croise par exemple pas de super héroïne, tout au plus quelques secrétaires et des diplômées, mais aucune directrice.

Les réseaux informels, deuxièmement restent trop souvent des old boy’s clubs, et c’est pour cela que l’association Wista dont l’antenne française est très active dans le secteur maritime, tente de recréer du réseau entre les femmes cadres du secteur. La principale barrière reste cependant la troisième : l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.

L’étude que nous avons menée se concentre sur ce dernier point dans l’un des sous-secteurs logistiques parmi les plus dominés par les hommes : le portuaire.

Cinq stratégies

Nous avons interrogé des cadres féminines du secteur issues de 17 pays différents. Parmi elles, certaines sont des pionnières de leur profession au niveau de leur pays. Dirigeantes de terminaux, de ports ou de divisions ministérielles, certaines ont été faire de brillantes études à l’étranger, seules, laissant leurs enfants en bas âge à la maison avec des personnes de confiance car les bourses d’excellence dont elles bénéficiaient ne couvraient pas leurs frais.

Leurs réussites sont exemplaires et parfois bouleversantes. En les étudiant en détail, nous…

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Auteur: Alexandre Lavissière, Professeur de Logistique, CESIT – Centre d’Excellence Supply Chain – KEDGE, Kedge Business School