Dans le viseur de l'État — Ballast

Nous retrouvons Vanessa Codaccioni et Eléonore Weber dans un café. La première est historienne et politologue, spécialiste de la justice pénale et de la répression ; la seconde autrice, metteuse en scène et réalisatrice. Toutes deux observent les mécanismes de répression, de surveillance et de délation à l’œuvre au plus haut niveau des États : qui nous surveille ? selon quels procédés ? avec quels objectifs ? Le dernier film d’Eléonore Weber, Il n’y aura plus de nuit, est un montage de vidéos de frappes américaine et française sur des zones de guerre impérialiste (Afghanistan, Irak, Pakistan), enregistrées par les caméras infrarouges d’hélicoptères. Le spectateur voit ainsi ce que voit le soldat, avant de mettre à mort un ensemble de pixels. Le dernier ouvrage de Vanessa Codaccioni, La Société de vigilance, est sous-titré  » Auto-surveillance, délation et haines sécuritaires  » : il éclaire l’avènement de nos sociétés de contrôle permanent. Traçage, fichage, vidéosurveillance, signalements à grande échelle : la résistance est faible. Nous tenions à les faire se rencontrer.

Les images du film Il n’y aura plus de nuit proviennent d’Internet et sont en libre accès. Que nous disent-elles de l’appareil d’État ?

Vanessa Codaccioni : L’État veut voir des corps menaçants, des corps dangereux, et il veut aussi montrer qu’il les voit, qu’il les surveille et qu’il peut les éliminer. Autrement dit, à travers ces images, on voit la puissance de l’État et sa capacité à surveiller, à sécuriser et à tuer. Les agents de l’État construisent des menaces rien qu’en regardant, en contrôlant, en perquisitionnant, en arrêtant dans la rue. C’est une manière d’attirer l’œil et le regard citoyen sur des corps devenus dès lors dangereux. Dans le film, on ne les voit même pas, ces corps : on les devine talibans, on les devine dangereux, on les devine terroristes : mais en réalité on n’en sait rien. Que les pilotes regardent ces corps suffit à en faire des corps dangereux — et donc tuables. On sait aussi très bien que l’État choisit de visibiliser certaines actions de répression plutôt que d’autres. Pourquoi certaines sont-elles accessibles ? Pourquoi d’autres ne le sont pas ? Sans doute parce qu’il s’agit de faire croire que l’État est transparent alors que nous sommes dans un moment où les gouvernements veulent de plus en plus invisibiliser la répression et nous empêcher de regarder ce qu’ils font, notamment en matière de lutte…

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Auteur: Ballast Le grand soir